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MADAME DE LA GUETTE.

— C’est vrai, monseigneur, mais je ne puis vaincre mon aversion pour ce garçon-là.

— Allons, je suis content de voir que vos raisons ne valent rien et que vous avez tort, car le mariage est fait et consommé. Vous êtes grand-père.

À ces mots le bonhomme recula d’un pas, comme si la foudre l’eût frappé.

— Je suis grand-père ! murmurait-il suffoqué ; je ne le serai pas long-temps si cela est. Je tuerai tout à l’heure la mère et l’enfant du même coup.

Et puis, oubliant le lieu où il était, il se mit à jurer et tempêter comme un homme ivre. M. d’Angoulême, voyant qu’il ne se calmait pas, fit dire à La Guette d’enlever sa femme de peur d’accident. Le gendre partit au galop, avec des chevaux qu’il prit dans les écuries du prince, et tandis que l’on retenait le père à Gros-Bois, Jacqueline, qui était bonne cavalière, enfourcha gaillardement sa monture et traversa la plaine à franc étrier, pour se mettre en sûreté chez son mari.

C’était un rude homme que le vieux Meurdrac, et il le montra bien en faisant décréter contre son gendre, contre les six témoins qui l’avaient assisté, contre sa fille elle-même, avec le dernier acharnement. Heureusement le mariage avait été selon les formes ; on ne trouva aucun motif de nullité. Des personnes pieuses et respectables reprochèrent à Meurdrac le scandale de ces querelles ; mais son ressentiment était implacable. Pendant ce temps-là, Mme de La Guette vivait fort doucement avec un mari qu’elle chérissait de tout son cœur. Le ménage allait le mieux du monde, à cela près que les époux se querellaient environ une fois la semaine ; l’amour y gagnait en définitive, et leurs caractères et leurs goûts s’accordaient parfaitement. Jacqueline prit tous les jours plus d’empire sur M. de La Guette. Les querelles devinrent plus rares, et on finit par s’aimer de cette tendresse paisible qui ne trouble point l’ame et fait le charme de la vie.

Au bout de neuf mois, Mme de La Guette accoucha d’un garçon. Le père, transporté de joie, prit l’enfant et lui mit au cou son baudrier en disant :

— Tu auras le cœur d’un bon militaire ; tu aimeras les armes comme moi, ou bien je te renie pour mon fils.

— Ne craignez rien, dit Jacqueline, il faudrait que le diable fût bien malin pour donner à des gens comme nous un fils poltron.