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MADAME DE LA GUETTE.

En traversant la cour du château, La Guette rencontra un groupe d’au moins quinze gentilshommes appartenant à M. d’Angoulême, et ces messieurs riaient entre eux en prononçant son nom. Il leur demande ce qui les divertissait si fort.

— C’est, lui dirent-ils, que votre accommodement est la chose la plus drôle du monde. Vous avez fait avec votre beau-père comme ce personnage de Francisco Santos dans la Nuit de Madrid, qui disait : « On nous réconcilia, nous nous embrassâmes, et depuis ce jour nous sommes ennemis mortels. »

— De quoi vous mêlez-vous ? répondit La Guette que la vérité offensait. Est-ce à dire que je suis un homme faux ? Apprenez que si j’embrasse mon beau-père, c’est qu’il me plaît de l’embrasser ; si je lui demande pardon, je pense ce que je dis, et celui qui douterait de mes paroles, je l’appellerais un fat.

— Nous sommes donc tous des fats, car nous croyons que votre réconciliation est un semblant, que vous détestez votre beau-père, et que vous vivrez avec lui plus mal que jamais.

— Mordieu ! vous m’en rendrez raison, s’écria La Guette. Je vous apprendrai à me traiter de fourbe !

Il mit l’épée au vent en disant cela. Les autres dégainèrent aussi. M. d’Angoulême, entendant un grand bruit d’armes, de cris et d’injures, accourut avec M. d’Alais son fils. Le vieux Meurdrac et Jacqueline les suivirent. Ils arrivèrent comme La Guette croisait le fer contre la troupe, qui ne faisait heureusement que parer ses coups.

— Ah ! je suis un fourbe ! Disait-il hors de lui ; ah ! je donne des baisers de Judas ; je n’aime pas mon beau-père ! Mordieu ! je vous ferai rentrer ces mots-là dans la gorge. Vous en avez menti : j’aime M. de Meurdrac ; je l’estime et le respecte, entendez-vous ? et je vous éventrerai tous si vous n’en convenez pas sur l’heure.

On eut bien de la peine à l’apaiser ; cependant M. d Angoulême, qui fut pris pour arbitre, jugea que La Guette avait raison de se croire offensé. Le vieux Meurdrac se fâcha aussi contre les railleurs, et voulait en tuer un ou deux. L’accord se fit après beaucoup de pourparlers, et lorsqu’on se quitta, il se trouva que le gendre et le beau-père, mal satisfaits des excuses qu’on leur avait faites, s’en allèrent dîner ensemble à Mandres bras dessus bras dessous. Pendant le reste du jour, ils répétèrent dix fois ensemble :

— Les marauds ! se moquer de nous quand nous sacrifions nos inimitiés à notre dévouement pour le prince ! rire d’une chose aussi