grave et qui nous a coûté autant ! oser dire que nous jouons la comédie !
Et à force de maugréer et de pester de compagnie contre les autres, ils finirent par devenir les meilleurs amis du monde et par boire à leur bonne intelligence éternelle. Nous laissons à penser si cette soirée fut douce pour Mme de Meurdrac et pour Jacqueline, qui voyaient enfin l’humeur emportée de leurs maris amener d’elle-même ce changement si souhaité que ni la tendresse filiale ni l’amour conjugal n’avaient pu faire naître.
Pendant cinq ans environ, Mme de La Guette n’eut d’autre occupation que celles d’une épouse fidèle et d’une tendre mère de famille. Son mari, sa maison et ses enfans remplirent assez sa vie pour tenir en bride son génie. On le comprendra, lorsque nous dirons qu’elle donna le jour, dans un court espace de temps, à deux garçons et quatre filles, ce qui n’est pas une petite affaire. Elle négligeait ses exercices favoris ; elle perdait l’habitude et le maniement des armes, et les bonnes gens de la vallée auraient oublié la pucelle de Gros-Bois, si elle n’eût encore porté les bottines et enfourché quelquefois son cheval comme un franc courrier, quand elle allait dîner à Mandres ou chez M. d’Alais. Le ciel s’indigne de voir les grandes ames dans l’oisiveté. Il sut également arracher à la mollesse Achille et Mme de La Guette, qui n’était point née pour végéter au milieu des soins domestiques.
La France possédait alors un héros dont la renommée portait le nom à tous les bouts du monde. Le prince de Condé venait de gagner ses premières batailles. Un jour, en revenant de Nordlingen, le front chargé de ses jeunes lauriers, il s’arrêta au bourg de Suilly avec sa suite ; il logea ses gens et ses officiers dans le village, et demanda l’hospitalité pour lui et le comte de Marsin à M. de La Guette, qu’il connaissait. Jacqueline n’entendait jamais sans émotion le nom de Condé. L’arrivée de ce prince dans sa maison était le plus grand honneur que le ciel pût lui accorder. Elle mit tout en œuvre pour recevoir dignement un hôte aussi illustre, et s’y prit de si bonne grace, qu’il demeura chez elle deux jours au lieu d’un. On chassa le daim ; Mme de La Guette courut elle-même, conduisit les meutes, et