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il l’obtint. Voilà comme le démon tente plus habilement les femmes par les bons sentimens que par les mauvais.

VI.

Aussitôt que le jour parut et que la raison eut repris son empire, Jacqueline eut horreur de sa faute. Elle se jeta sur le carreau à deux genoux, et levant ses bras vers le ciel, elle s’écria :

— Mon Dieu, voyez le repentir amer d’une faible créature. Pardonnez-lui, et daignez encore vous servir d’elle, toute indigne et toute coupable qu’elle est, pour l’accomplissement de vos desseins. Brisez ensuite ce vil instrument une fois que vous l’aurez employé ; mais faites qu’avant de mourir j’aie exécuté mon projet d’éteindre la guerre civile.

M. de La Roche-Vernay avait été touché de la douleur sincère de Jacqueline. Il promit d’agir désormais comme s’il ne fût rien arrivé des évènemens de la veille. On apprêta les chevaux et on partit à six heures du matin pour la ville de Bourdeille, où on présumait que M. de La Guette se trouverait avec le régiment de Marsin. Il en était décampé depuis deux heures lorsque Jacqueline y arriva ; mais comme le gouverneur de Bourdeille assura qu’on le rencontrerait infailliblement dans la ville de Serlac, notre amazone dit adieu à M. de La Roche-Vernay et continua son voyage. À Serlac, on ne trouva personne encore. Il y avait eu dans la nuit un coup de main. Des traîtres avaient livré une porte aux troupes royales. Beaucoup de frondeurs étaient massacrés. Jacqueline entra dans la ville au moment où le tumulte s’apaisait. À peine se fut-elle installée dans une hôtellerie, qu’un officier du roi, suivi de quatre hommes armés, vint l’interroger par l’ordre du nouveau commandant ; on dressa procès-verbal de ses réponses, et il fut décidé que notre héroïne n’était autre que le comte de Marsin lui-même sous un déguisement de femme. Il fallut perdre encore un jour avant qu’une assemblée composée de six dames de la ville eût vérifié le sexe de Mme de La Guette. On lui demanda ensuite pardon de la méprise, on lui donna un guide pour Bordeaux, et elle partit enfin plus confiante que jamais dans le succès de son ambassade.

Jacqueline n’avait fait qu’une lieue au sortir de cette ville, lorsqu’elle vit au coin d’un bois huit cavaliers démontés qui lui présentèrent à bout portant les canons de leurs mousquets. Le guide et les