était fort pauvre ; mais comme il avait touché la reine qui craignait d’enrager, on espérait que le roi lui donnerait une pension. La seconde fille de Jacqueline, étant portée à la dévotion, prit le voile volontairement. Toutes ces choses promettaient à la mère un avenir heureux. Cependant, en peu de jours, ces biens se changèrent en maux. Saint-Huber fut oublié du roi, et le mariage ne se fit pas. La fille aînée vint rejoindre sa mère à Gand, et comme rien ne put dissiper sa mélancolie, toute la famille qui l’aimait en fut affligée. Une troisième fille mourut chez M. d’Alais. M. de La Guette lui-même prit les fièvres dans une campagne d’hiver et rendit son ame à Dieu après quatre mois de souffrances et de langueur. Enfin, pour dernier coup, et celui-là fut le plus cruel de tous, le fils aîné reçut au siége de Maestrich un boulet qui lui enleva les deux cuisses. Tant de secousses ébranlèrent la fermeté de Jacqueline. Son caractère s’amollit par l’habitude des larmes. Elle perdit sa vivacité, sa belle humeur ; sa beauté même en fut endommagée. Une révolution aussi considérable dans son esprit et sa personne l’étonna elle-même, et souvent elle répétait que son heure dernière devait être proche. Malgré ces pressentimens fâcheux, elle eût pu vivre long-temps encore, car elle avait une constitution de fer. Une aventure où elle se jeta inconsidérément mit fin à cette carrière romanesque, comme si le sort eût désiré par amour de l’art que Mme de La Guette mourût héroïquement.
La tendresse de Jacqueline s’était reportée entièrement sur son second fils, qui était un aussi beau et brave garçon que l’aîné. Tout en craignant pour ses jours, la mère n’eût voulu pour rien au monde le détourner de la guerre et des devoirs d’un honnête gentilhomme. Elle le mit sous les drapeaux, et se contentait de pleurer lorsqu’il allait aux camps mais elle lui disait au milieu des caresses et des pleurs : « Battez-vous bien, mon enfant ; faites qu’on parle bien de vous, et que Dieu vous préserve d’accident ! »
On ne sait jamais ce qu’on doit souhaiter, tant la mauvaise fortune est habile à nous frapper par le côté où nous y pensons le moins. Ce fut dans un temps de paix, et au sein du repos, que la mort vint encore s’abattre sur cette maison malheureuse. Le petit La Guette était, comme son père, d’une complexion amoureuse ; il avait les passions et la fougue qu’on excuse dans les jeunes gens. Il gagna les bonnes graces d’une dame assez jolie, de la ville de Gand ; cette personne était coquette et galante. Notre garçon eut plusieurs rivaux aussi bouillans que lui, quoique moins courageux. Ils le prirent en haine parce qu’il était favorisé, et ils se concertèrent pour se défaire de lui