Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/307

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
303
MADAME DE LA GUETTE.

à l’italienne, en l’assassinant. Le jeune homme aimait fort la chasse et s’en allait souvent courir tout seul dans la campagne. On paya des estafiers pour l’attendre au coin d’un bois et le tuer.

Un jour que son fils était hors du logis, Mme de La Guette fut réveillée de grand matin par un paysan qui accourait tout en nage pour lui parler.

— Madame, lui dit cet homme, je suis le maître d’un cabaret de village. Il est venu hier trois spadassins qui ont couché dans ma maison ; je les ai entendus causer entre eux d’une personne qu’ils doivent tuer ce matin. Ils ont prononcé le nom de votre fils, ce doit être lui qu’ils attendent au détour d’un chemin. Envoyez-y du monde ; je conduirai vos gens ; ne perdez pas un instant.

Dans son émotion, Mme de La Guette voulut courir elle-même au-devant de son fils. Elle mit à la hâte ses habits d’amazone, chargea ses armes et appela ses valets. La prudence et le bon sens voulaient qu’elle emmenât plus de monde avec elle qu’il n’en fallait pour empêcher le coup ; mais sans y songer, et par cette habitude scrupuleuse des ames vaillantes, elle ne prit que deux laquais bien courageux, afin d’être trois contre trois, de même que s’il se fût agi d’une affaire d’honneur. On monta aussitôt à cheval, le paysan à la tête de la troupe, et l’on traversa par le milieu des champs pour arriver plus vite.

Lorsqu’on fut au détour où le guide avait compris que le guet-apens se devait faire, on ne vit personne ; il ne semblait point, en regardant l’herbe et les buissons, qu’il se fût passé là une scène de violence. La terre n’était pas remuée comme après un combat. Le paysan ne savait plus que dire : il pensait qu’il fallait demeurer, et que les estafiers allaient venir bientôt. Mme de La Guette tomba dans une indécision mortelle. Il se pouvait que son fils fût attendu dans un autre lieu, et qu’il y mourût sans recevoir de secours. Elle laissa un de ses hommes au détour du chemin, l’autre monta sur un tertre d’où l’on voyait au loin dans les champs. Elle leur commanda de l’appeler à grands cris s’ils découvraient quelqu’un, puis elle s’avança pour battre les bois sous la conduite du paysan. Des pas d’hommes qu’elle trouva sur une terre molle lui firent penser que les assassins avaient marché tout nouvellement ; elle suivit ces traces, aussi vite qu’elle put, mais une lande considérable se présenta, où l’on ne voyait plus la marque des pas. Jacqueline visita la lisière du bois, tandis que le paysan battait la bruyère. Enfin elle aperçut des chevaux attachés à un arbre : elle courut au galop de ce côté ; les trois estaffiers étaient assis par terre à deux pas de là.