Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/408

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
404
REVUE DES DEUX MONDES.

simplicité et de bonhomie, reste des mœurs patriarcales des clans abolis. D’ailleurs, les mêmes armoiries fastueuses remplissent les panneaux des voitures chargées de grands laquais poudrés, portant la canne, signe distinctif de la noblesse de leurs maîtres. Le même esprit d’exclusion préside aux réunions de plaisir. Telle personne de la caste inférieure ne pourra, par exemple, figurer au même quadrille que telle autre de la caste supérieure ; et si les noms des Wilson, des Murray et des Lockhart se mêlent, sur la liste des commissaires d’un bal, à ceux des Buccleuch, des Lothian, des Wemyss et des Melville, c’est que ce bal est une œuvre de charité, et qu’un motif d’humanité doit rapprocher tous les rangs.

Toutefois, cette hauteur aristocratique n’exclut jamais la politesse, et n’est offensante que d’une manière toute négative. Ces vanités bourgeoises, qui sèchent de douleur de ne pouvoir jouir de quelques priviléges insignifians attachés au titre de noble, de ne pouvoir se mêler avec une autre classe de la société que la leur en sont seules affectées. On ne rencontre guère dans l’aristocratie écossaise de ces grands seigneurs impolis de propos délibéré, insolens avec calcul. Les hommes d’une haute naissance laissent aux parvenus ces ridicules odieux. L’orgueil timide et la hauteur maladroite, si communs autrefois, corrigés par les voyages et des relations plus fréquentes avec cette société de Londres, que naguère encore les Écossais accusaient de mollesse et de fadeur (soft and wash[1]), ont fait place à plus d’aisance et à plus de liant. On ne rencontre plus que rarement, dans certaines classes de la société, de ces tartufes de mœurs, gens de noblesse douteuse, et par cela même pleins de morgue et d’insolence, qui, tout à la fois altiers et fourbes, ambitieux et parasites, avec du savoir-faire et de l’audace, régentaient la société qu’ils effrayaient et qui les méprisait. L’original de sir Pertinax Mac-Sycophant, qu’à Londres l’acteur Cooke jouait si admirablement, est aujourd’hui tout-à-fait perdu.

La vie est beaucoup plus réglée à Édimbourg qu’à Londres ; les jouissances simples et naturelles de l’intérieur et de la famille semblent suffire à ces esprits contemplatifs chez qui l’imagination même a des allures raisonnables. On se trouve bien chez soi (at home), et on ne se figure pas qu’on pourra être plus agréablement ailleurs. Le

  1. Simon, Voyage en Angleterre, tom. I, pag. 504. — Ce reproche que les Écossais adressaient aux Anglais vers 1800 est des plus singuliers. Que devait donc être la société écossaise, il y a cinquante ans, avant l’invasion de la mollesse et de la fadeur anglaise ?