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L’ÉCOSSE.

coin du feu absorbe donc la meilleure partie des soirées écossaises, et ce n’est que fort accidentellement que l’on va chercher des distractions au dehors. Aussi la musique est-elle cultivée avec plus de succès chez les Écossais que chez les Anglais, la musique comme la conversation et la lecture étant de ces plaisirs que l’on se procure aisément chez soi. Le piano est à peu près le seul instrument dont les Écossais sachent tirer parti. Je sais bien que les gémissemens aigus de la cornemuse excitent chez les dilettanti d’Édimbourg un singulier enthousiasme ; mais je me figure qu’il y a là beaucoup de cet esprit de nationalité, de ce patriotisme un peu étroit que les habitans du royaume-uni appliquent à tout. J’ai entendu jouer de la cornemuse par des pipers renommés ; la cornemuse dans leurs mains, comme dans celles du premier souffleur venu, est un instrument de sauvages ou de démons ; ses sons aigres, sifflans, monotones, agacent affreusement les nerfs ; en fait de musique, c’est l’abomination de la désolation.

Par les mêmes raisons, le goût des spectacles n’existe pas chez les Écossais. Je suis persuadé qu’ils préfèrent de beaucoup le plus mauvais sermon au plus beau drame de Shakespeare et à la meilleure comédie de Sheridan. Aussi, à parler franchement, il n’y a pas de théâtre à Édimbourg[1]. Quelquefois, il est vrai, des acteurs de passage se réunissent dans une petite salle noire et enfumée qui ferait honte à une de nos villes de province de troisième ordre, Calais ou Grenoble, et jouent, devant une cinquantaine d’auditeurs décemment vêtus et une centaine de pauvres diables déguenillés, quelque drame insipide, tiré d’un roman de Walter Scott, quelques farces anglaises ou écossaises bien grossières, souvent aussi d’effroyables mélodrames remplis d’incidens horribles où certaine vérité atroce et triviale paraît dans toute sa laideur et sa nudité repoussante. Dans telle de ces

  1. Dryden nous a laissé une description de la troupe comique qui jouait de son temps à Édimbourg, à laquelle nous ne pensons pas qu’il y ait aujourd’hui un mot à changer :

    With bony blue cap there they act all night
    For Scotch half-crowns, in English three pence hight.
    One nymph to whom fat Sir Falstaff’s lean
    , etc.

    (Dryden, les Déserteurs d’Oxford.)

    « C’est là qu’ils jouent toute la nuit en bonnet bleu pour gagner les demi-couronnes écossaises, qui valent les pièces de trois sous d’Angleterre. Une nymphe qui ferait paraître maigre le gros sir John Falstaff, occupe à elle seule toute la scène… Notre antique et fidèle portier déclame et se démène héroïquement… Enfin, ce qui, tout à l’heure servait de queue à un chapon, devient la plume d’un empereur indien. »