Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/484

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
480
REVUE DES DEUX MONDES.

stérilité a été tristement éprouvée. Voilà comme on raisonne assez ordinairement dans le fouriérisme.

La pierre de touche qui sert à éprouver les promesses dorées des novateurs est le sentiment moral ; toute doctrine qui le choque n’a pas d’avenir. Je ne reconnaîtrai avec M. Reybaud, dont l’impartialité touche à l’indulgence, que les travaux des utopistes contemporains n’ont pas été sans utilité. Leur sympathie pour les classes souffrantes, les misères qu’ils ont dévoilées, ont fait sentir, même aux cœurs égoïstes, la nécessité de faire descendre le bien-être dans les rangs inférieurs et trop souvent sacrifiés des populations ; ils ont développé l’émulation industrielle. Saint-Simon a proclamé le respect de l’autorité et les avantages de la subordination. Owen, apôtre d’une égalité impossible et d’une tolérance périlleuse, a donné par compensation de nobles exemples. Fourier a certainement avancé la solution du problème qui est à l’ordre du jour, la théorie de l’association qui doit remédier aux abus du morcellement et de la concurrence. D’autres points de détail, indiqués par M. Reybaud, pénétreront avec le temps dans nos mœurs et dans nos lois ; ce sont là d’incontestables services, et pourtant les écoles auxquelles on en est redevable sont tombées ou tomberont. C’est qu’elles blessent ce mystérieux instinct du bien et du convenable qui se trouve au fond des populations européennes ; c’est qu’on n’a pu s’intéresser à des réformes économiques dont le succès eut coïncidé avec un déplorable abaissement moral.

Pour une des trois sectes que nous avons vu naître, le livre de M. Reybaud est déjà de l’histoire ancienne. La comédie saint-simonienne a eu le dénouement que chacun sait. Avec le costume apostolique, les acteurs ont quitté l’allure théâtrale, le ton dogmatique, le regard inspiré. Seulement les principes émis par Saint-Simon, sur l’urgence de restituer au catholicisme des moyens d’action appropriés à l’état des sociétés modernes, ont engagé quelques esprits solides dans un ordre d’idées et de recherches, qui peut-être un jour auront du retentissement. Des trois socialistes contemporains, M. Robert Owen est le seul vivant ; si l’on comptait au nombre de ses disciples tous ceux qui professent la doctrine sauvage du communisme, ceux qui croient que tous les bimanes ont des droits égaux aux biens de ce monde, abstraction faite de leur valeur individuelle, le réformateur anglais disposerait d’une clientelle malheureusement nombreuse. Mais M. Owen est un expérimentateur plutôt qu’un théoricien ; sa doctrine, qui se réduit à nier l’empire de la religion et des lois, a si peu de consistance, qu’on hésite à le considérer comme chef d’école. L’influence qu’il conserve sur la classe ouvrière, il la doit à ses antécédens généreux, à son caractère sympathique ; le plus convaincu de ses admirateurs, c’est lui-même, à n’en pas douter. Dans un manifeste, publié l’année dernière, et traduit par M. Reybaud, l’inventeur du système de religion et de société rationnelles, c’est ainsi qu’il se qualifie, parle avec une rare complaisance de son dévouement, de ses lumières, de ses succès et de ses divers écrits, et notamment du Nouveau Monde moral, « livre qui man-