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LE CARDINAL XIMENÈS.

peu après son arrivée, il s’empressa d’en prendre possession. De son côté, l’archevêque de Tolède avait pourvu un de ses aumôniers de cet archiprêtré. Ximenès, sommé de déguerpir, refusa. L’archevêque, qui n’était rien moins que le fameux Carillo, le hautain ministre des rois catholiques, le fit enlever de vive force et enfermer, sans autre formalité, dans la tour d’Ucéda.

Cette affaire est la première où se révèle l’inflexible opiniâtreté du caractère de Ximenès. Accablé de mauvais traitemens, menacé d’un procès criminel, transféré de prison en prison, il ne cessa pas de protester, et se refusa obstinément à reconnaître la nullité de ses prétentions. Cette lutte dura plus de six ans. Enfin, soit que l’archevêque eût peur de se brouiller avec la cour de Rome, soit qu’il fût touché, comme on l’a dit, des prières de sa nièce, il céda, et le prisonnier fut rendu à la liberté et à son bénéfice. Les historiens de Ximenès racontent que, pendant qu’il était dans la tour d’Ucéda, un vieux prêtre captif lui prédit ses grandeurs futures ; mais il faut peu croire à toutes ces prophéties supposées après coup sur l’avenir des grands hommes. Ximenès ne fut probablement soutenu, dans sa résistance contre le puissant archevêque de Tolède, que par l’énergie de sa volonté, et c’est plutôt diminuer qu’accroître l’honneur de sa constance que de l’appuyer d’un secours surnaturel.

Le grand Gonzalès de Mendoza, celui qu’on a appelé en Espagne le grand cardinal, était alors évêque de Siguenza. C’était un prélat illustre et qui aimait à s’entourer d’hommes de mérite. L’aventure de Ximenès avait attiré les yeux sur lui et rehaussé la réputation qu’il s’était déjà acquise. Le grand cardinal lui proposa, pour l’attirer dans son diocèse, la grande chapellenie de l’église cathédrale de Siguenza. Ximenès accepta, pressé sans doute de servir sous un maître plus bienveillant que le superbe et vindicatif Carillo, et sut si bien se concilier la confiance de Mendoza, qu’il devint bientôt son grand-vicaire. Il avait quarante-cinq ans.

On était alors au plus fort de cette dernière lutte contre les Maures, qui devait se terminer quelques années après par la prise de Grenade. On n’entendait parler que d’incursions des infidèles sur les terres des chrétiens et de coups de main des chrétiens sur les terres des infidèles ; ce n’étaient chaque jour que défis héroïques, surprises de châteaux, embuscades dans les défilés, rencontres, batailles, massacres, prises et captivités d’alcaydes maures et de chevaliers espagnols. Il arriva que, dans un de ces engagemens qui eut lieu en 1483, au milieu des montagnes de Malaga, et qui tourna au grand