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tout pénétré des connaissances singulières qu’on y puisait alors et qui donnaient à l’esprit les habitudes les plus agitées, il était moins propre que jamais à accepter le calme d’une existence vulgaire.

Il chercha quelque temps autour de lui un moyen de sortir de la foule, et, ne trouvant rien dans son pays, il résolut de partir pour Rome. La capitale de la chrétienté était alors le point où tendaient toutes les ambitions et d’où partaient toutes les grandes fortunes. Ximenès était pauvre, Rome était loin, et la route présentait à cette époque bien des difficultés et des dangers. Aucun obstacle ne le rebuta ; il donna publiquement des leçons de droit, recueillit ainsi un peu d’argent, et partit. Il traversa sans encombre l’Espagne, les Pyrénées et le Languedoc ; mais arrivé en Provence, il fut attaqué par des voleurs qui le dévalisèrent. Dénué de tout, il fut forcé de s’arrêter à Aix. Là, il eut le bonheur de rencontrer un gentilhomme castillan qui avait étudié avec lui à Salamanque, et qui le prit pour compagnon de voyage. Ce fut ainsi qu’il parvint jusqu’à Rome.

Il y trouva ce que les nouveaux venus trouvent toujours dans ces grands centres où tout afflue, un extrême encombrement. Le pape qui occupait alors le saint siége, Sixte IV, était par lui-même un exemple du chemin qu’on pouvait faire par l’église. Fils d’un pêcheur de Savone et simple cordelier, il s’était élevé de proche en proche jusqu’au trône pontifical. Mais à côté de ces grands succès, de ces avancemens éclatans, il y avait bien des efforts avortés et des tentatives impuissantes. Une circonstance particulière ajoutait encore aux obstacles ; c’était alors le moment où la ruine récente de Constantinople et de Trébisonde avait forcé beaucoup de Grecs illustres à se réfugier en Italie. Toutes les faveurs de la papauté étaient réservées à ces nobles étrangers qui apportaient avec eux la tradition des lettres antiques, et il en restait peu pour les Italiens, moins encore pour les Espagnols.

Tout ce que Ximenès put obtenir, après avoir quelque temps plaidé pour ses compatriotes devant les tribunaux romains, ce fut une bulle d’expectative pour le premier bénéfice qui viendrait à vaquer dans le diocèse de Tolède. Ces sortes de bulles, qui disposaient par avance des emplois ecclésiastiques, étaient naturellement fort peu en faveur auprès des évêques diocésains. Mais Ximenès voulait absolument emporter quelque chose de son voyage ; il n’était pas d’ailleurs de caractère à laisser un titre quelconque sans effet entre ses mains. Il repartit donc pour l’Espagne, bien résolu à faire valoir son droit, quel qu’il fût. L’archiprêtré du bourg d’Ucéda étant devenu vacant