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sion. Prudent et réfléchi comme il était, il avait pressenti tout ce qui pouvait résulter pour l’Espagne de la réunion de tant d’états sous un seul maître, et il fit tout ce qu’il put pour disputer à son petit-fils une large part de son héritage. Quand les états de Castille eurent reconnu Charles comme prince des Asturies, Ferdinand voulut du moins lui enlever l’Aragon et Naples. Dans cette pensée, il se remaria avec Germaine de Foix, et sa joie fut extrême, dit un historien, lorsque sa jeune épouse lui donna un héritier. À la mort prématurée de ce fils, il montra par le même motif un désir si immodéré d’avoir d’autres enfans, que cette impatience lui devint funeste. Il eut recours à des médecins qui lui firent prendre une de ces potions qu’on supposait propres à venir au secours d’une constitution épuisée. Ce breuvage pernicieux produisit un tel effet sur lui qu’il en eut une violente maladie et qu’il n’y survécut que peu de temps.

Alors, ce qu’il n’avait pu obtenir de la nature, il chercha à le réaliser par son testament. N’osant pas déshériter explicitement Charles, il légua au prince Ferdinand la régence de ses royaumes, et lui conféra en même temps la dignité de grand-maître des ordres militaires ce qui était un moyen détourné de le créer candidat au trône contre son frère. Si ce testament avait été exécuté et que le roi catholique eût pu laisser après lui des dépositaires de son projet, les destinées de l’Espagne et de l’Europe entière auraient été changées.

Malheureusement il ne se trouva pas, parmi les conseillers du roi mourant, un seul politique qui partageât ses vues. Le jeune Ferdinand avait un parti considérable dans la nation, mais tous les hommes d’état s’étaient déclarés pour Charles. Ximenès surtout avait embrassé avec chaleur ce dernier parti. C’était en effet un entraînement irrésistible pour un esprit dominateur comme le sien, que la perspective de l’immense empire qui allait se former. La Castille, la Navarre, l’Aragon, la Sicile, le royaume de Naples, les possessions espagnoles en Amérique et en Afrique, venant s’ajouter à ce que Charles possédait déjà du chef de son père et à ses chances d’élection à l’empire, devaient constituer la puissance la plus formidable qu’on eût encore vue depuis Rome, et préparer les voies à l’établissement de l’unité universelle de gouvernement et de foi. Cette idée grande et magnifique séduisait Ximenès et tous les autres ministres, et leur fermait les yeux sur les légitimes défiances de la nationalité espagnole. Quant à ce qu’auraient à redouter les vieilles libertés du pays de l’ascendant irrésistible d’un prince aussi puissant, c’était pour eux une raison de soutenir ses droits, et non de les combattre. La lutte de la royauté