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LE CARDINAL XIMENÈS.

contre l’anarchie du moyen-âge était encore trop récente pour qu’on ne songeât pas à affermir la victoire au lieu de la réduire.

Et cependant ce n’était pas là un des moindres intérêts menacés par l’avénement du jeune archiduc. Pendant que Ferdinand s’inquiétait surtout de cette confusion de couronnes qui allait enlever à la royauté catholique la place à part qu’il lui avait faite, les divers ordres de Castille et d’Aragon devaient s’inquiéter aussi de ce que deviendraient leurs priviléges. Quelques symptômes de mécontentement montrent que les deux pays eurent le pressentiment de ce qui les attendait, mais ils ne remuèrent pas. Le temps des libertés turbulentes était passé, celui de l’obéissance commençait. Il n’y avait que l’intervention de quelque personnage considérable qui pût donner un corps à ces résistances cachées, et tous ceux qui auraient eu assez d’influence pour organiser l’opposition confuse de l’instinct national conspiraient contre ses justes répugnances. C’est là une des erreurs de Ximenès que l’histoire doit le plus lui reprocher ; c’est peut-être celle qui a fait le plus de mal à son pays, et elle a pris naissance comme les autres dans son goût natif pour tout ce qui était exclusif, démesuré, plus frappant que possible, et plus romanesque que raisonnable.

Les plus anciens ministres de Ferdinand-le-Catholique, Carvajal, Zapata, Vargas, n’eurent pas de repos, de concert avec Ximenès, qu’ils n’eussent fait révoquer par le roi le testament qu’il avait fait en faveur du plus jeune des deux princes. Ferdinand résista long-temps à leurs instances, mais enfin, voyant que personne autour de lui ne s’associait à ses idées et qu’il ne léguerait à l’Espagne qu’une guerre civile entre les deux frères, au lieu de lui assurer l’indépendance qu’il avait rêvée pour elle, il céda. Il déclara par un nouveau testament que Charles était le seul héritier de tous ses états ; il retira au jeune Ferdinand la grande maîtrise des ordres militaires, qui en aurait fait à tout évènement un embarras pour son frère, et légua la régence de Castille à Ximenès ; après quoi il mourut, le 23 janvier 1516. Ximenès prit aussitôt la direction des affaires.

À part l’erreur fondamentale qui l’avait porté là, on doit reconnaître qu’il déploya dans cette situation presque royale les plus hautes qualités de gouvernement. À un âge où les autres hommes ne pensent plus qu’à mourir, il fut hardi, entreprenant, infatigable, fécond en ressource. Il y avait long-temps que toutes les passions de cette ame ardente s’étaient éteintes au profit d’une seule, la passion sévère du commandement. Pendant les vingt-deux mois que dura sa régence,