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Jeanne augmentant de jour en jour, il n’y avait aucun espoir qu’elle cessât jamais, et qu’il devenait alors naturel de reconnaître immédiatement son fils comme roi. L’amiral de Castille, le duc d’Albe et d’autres orateurs soutinrent au contraire que, la couronne devant tôt ou tard revenir à Charles, il n’y avait ni droit ni convenance à profiter du triste état de la reine pour la dépouiller avant sa mort du titre sacré qui lui appartenait. Les esprits s’échauffaient, et la querelle prenait un caractère de passion toujours croissant, quand Ximenès, qui présidait, mit fin à tout par un mot. « Les états, dit-il, étaient rassemblés non pour délibérer, mais pour obéir ; leur souverain n’avait aucun besoin d’eux pour prendre la qualité de roi. S’il avait bien voulu leur demander leur approbation, c’était par une simple formalité ; la lui refuser serait mal répondre à l’honneur qu’il avait fait à l’assemblée. » Et sans s’arrêter à prendre les suffrages, il commanda au corrégidor de Madrid d’aller proclamer la reine Jeanne et l’archiduc Charles son fils, conjointement rois de Castille. Le corrégidor sortit sur-le-champ ; tout était prêt pour l’exécution de cet ordre ; on entendit bientôt retentir près de la salle des états les fanfares de la proclamation. Ce coup d’autorité jeta l’étonnement et le désordre parmi les assistans ; il eût été insensé de songer à la résistance dans une résidence comme Madrid, où le cardinal disposait de tout. Ximenès fit expédier, séance tenante, les lettres qui ordonnaient à toutes les villes de Castille de suivre l’exemple de Madrid, et congédia l’assemblée, qui se retira sans opposition. Les états de Castille venaient d’expirer.

Le régent ne s’en tint pas à cet acte de vigueur. Les grands, qui étaient restés les seuls représentans de l’esprit de liberté depuis que les communes avaient fait alliance avec Ximenès contre leurs propres intérêts, essayèrent plusieurs fois de secouer le joug ; ils furent toujours battus. L’un d’eux, et des plus puissans, don Pedro Porto-Carrero, avait obtenu du pape des provisions secrètes pour la grande maîtrise de l’ordre de Saint-Jacques. Il convoqua sous main le chapitre général de l’ordre pour se faire reconnaître. Les chevaliers s’empressèrent de s’y rendre, dans l’espoir de voir renaître l’antique splendeur de leur institution. Ximenès en fut averti ; il y envoya des forces supérieures sous le commandement de l’alcayde Villafanno, et força le chapitre à se séparer sans avoir rien fait. Il ne montra pas moins d’énergie dans une autre occasion qui se présenta bientôt après. Un des plus hardis seigneurs d’Andalousie, don Pedro Giron, ayant des prétentions sur le duché de Medina-Sidonia, avait osé