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turel de suivre. Or Bertaut a été le second de Desportes, comme Du Bellay l’avait été de Ronsard : voilà un pendant tout trouvé. Du Bartas aura son tour. Dans le Tableau de la Poésie française au seizième siècle, je les avais laissés au second plan, le tout étant subordonné à Ronsard ; je tiens à compléter sur eux ma pensée et à faire sortir mes raisons à l’appui, avant que M. Ampère, qui s’avance avec toutes ses forces, soit venu régler définitivement ces points de débat, et qu’il y ait clôture. On aurait tort d’ailleurs de croire que ces sujets ne sont pas aussi actuels aujourd’hui que jamais. J’ai dit combien Du Bellay, et dans sa patrie d’Anjou, et à Paris même, avait occupé de studieux amateurs en ces derniers temps. Il y a quelques mois, M. Philarète Chasles écrivait de bien judicieuses et spirituelles pages sur Desportes[1]. L’autre jour, je tombai au travers d’une discussion très intéressante sur Bertaut entre deux interlocuteurs érudits, dont l’un, M. Ampère lui-même, avait abordé ce vieux poète à son cours du Collége de France, et dont l’autre, M. Henri Martin, en avait traité non moins ex professo dans un mémoire inséré parmi ceux de l’Académie de Caen[2]. Je survins in medias res, en plein Bertaut ; j’étais tout préparé, ayant justement, et par une singulière conjonction d’étoiles, passé ma matinée à le lire. Il m’a semblé, en écoutant, qu’il y avait à dire sur Bertaut, à me défendre même à son sujet, et que c’était une question flagrante.

Bertaut, qui n’avait que quatre ou cinq ans de plus que son compatriote Malherbe, mais qui appartient au mouvement poétique antérieur, a-t-il été, en effet, une espèce de Malherbe anticipé, un réformateur pacifique et doux ? A-t-il eu, en douceur, en harmonie, en sensibilité, de quoi présager à l’avance le ton de Racine lui-même ? Bertaut était-il un commencement ou une fin ? Eut-il une postérité littéraire, et laquelle ? Doit-il nous paraître supérieur, comme poète, à Desportes, son aîné, et qu’on est habitué à lui préférer ? A-t-il fait preuve d’une telle valeur propre, d’une telle qualité originale et active entre ses contemporains les plus distingués ? Ce sont là des points sur quelques-uns desquels je regretterais de voir l’historien littéraire plier. J’ai été autrefois un peu sévère sur Bertaut ; je voudrais, s’il se peut, maintenir et modifier tout ensemble ce premier jugement, le maintenir en y introduisant de bon gré des circonstances atténuantes. Ce à quoi je tiens sur ces vieux poètes, ce n’est

  1. Revue de Paris, no du 20 décembre 1840.
  2. Année 1840.