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Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/571

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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

J’aime mieux en soucis et pensers élevés
Être un aigle abattu d’un grand coup de tonnerre,
Qu’un cygne vieillissant ès jardins cultivés.

Cet aigle abattu d’un grand coup de tonnerre, ce fut Ronsard. Lui, il ne fut que le cygne vieillissant dans le jardin aligné, près du bassin paisible.

Desportes lui-même, dans le gracieux et dans le tendre, a bien autrement de vivacité, de saillie, de prestesse : Bertaut, je le maintiens, n’est que son second. La vie seule de Desportes, ses courses d’Italie et de Pologne, ses dissipations de jeunesse, ses erreurs de la Ligue, ses bons mots nombreux et transmis, ses bonnes fortunes voisines des rois[1], accuseraient une nature de poète plus forte, plus active. Mais, en m’en tenant aux œuvres de l’abbé de Tiron, le brillant et le nerf m’y frappent. Par exemple, il décoche à ravir le sonnet, cette flèche d’or, que Bertaut ne manie plus qu’à peine, rarement, et dont l’arc toujours se détend sous sa main. Bertaut, jeune, amoureux, ne s’élève guère au-dessus de la stance de quatre vers alexandrins, laquelle plus tard, lorsqu’il devient abbé et prélat, s’allonge jusqu’à six longs vers cérémoniellement. On a dit que Desportes est moins bon que Bertaut dans ses psaumes. Mais on me permettra de compter pour peu dans l’appréciation directe des talens ces éternelles traductions de psaumes, œuvres de poètes vieillissans et repentans. Une fois arrivés sur le retour, devenus abbés ou évêques, très considérés, ces tendres poètes amoureux ne savaient véritablement que faire : plus d’amour, partant plus de joie, se seraient-ils écrié, s’ils avaient osé, avec La Fontaine ; et encore ils auraient dit volontiers comme dans la ballade :

À qui mettoit tout dans l’amour,
Quand l’amour lui-même décline,
Il est une lente ruine,
Un deuil amer et sans retour.
L’automne traînant s’achemine ;
Chaque hiver s’allonge d’un tour ;
En vain le printemps s’illumine :
Sa lumière n’est plus divine
À qui mettoit tout dans l’amour !

En vain la beauté sur sa tour,
Où fleurit en bas l’aubépine,

  1. Tallemant des Réaux, tom. Ier, et aussi Teissier dans ses Éloges tirés de M. de Thou, tom. IV.