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quences auxquelles on songe peu. Depuis dix ans, le parti qu’on appelle conservateur a été presque constamment en possession du pouvoir, et les élections se sont toujours faites sous ses auspices. C’est donc à lui qu’a appartenu presque exclusivement la dispensation de toutes les faveurs publiques et l’influence qui en est la conséquence. Mais il est impossible qu’un jour ou l’autre le parti conservateur ne soit pas, comme le parti tory en Angleterre, rejeté pour quelques années dans l’opposition. Que dira-t-il quand il verra tourner contre lui tous les moyens dont il s’est servi jusqu’ici ? Beaucoup de personnes pensent que le parti conservateur ne résistera pas à l’épreuve et qu’il se laissera vaincre presque sans combat. Cependant, c’est une chance que le parti conservateur doit prévoir, c’est une lutte à laquelle, dans un temps plus ou moins éloigné, il ne saurait échapper.

Il y a donc là, non pour un parti seulement, mais pour tous, un grave sujet de réflexion. Malheureusement, il est plus facile de signaler le mal que le remède. C’est quelque chose, ainsi qu’on l’a déjà tenté, que d’assujétir à des règles aussi fixes que possible la distribution des faveurs et des emplois publics. Mais, pour être justes et applicables, ces règles doivent encore laisser à l’arbitraire ministériel une très grande latitude. Il faut donc absolument que les mœurs viennent au secours des lois ; s’il en était autrement, le jour arriverait peut-être où, entre les électeurs et les députés d’une part, entre les députés et les ministres de l’autre, il s’opérerait le plus déplorable partage, celui par lequel les électeurs et les députés abandonneraient le gouvernement aux ministres, les ministres l’administration aux députés et aux électeurs. On pourrait dire alors que la monarchie administrative de 1804 et la monarchie constitutionnelle de 1830 ont péri sous les coups l’une l’autre, et qu’il ne reste plus de chacune d’elles que de vaines formes et un déplorable simulacre.

Il est enfin, au sein même de l’administration, pour la dignité comme pour la liberté de son action, un dernier problème à résoudre. On reconnaît assez généralement que les fonctionnaires politiques ont le droit d’exercer tout autour d’eux, surtout à l’époque des élections, une certaine influence. En France, dit-on avec quelque raison, ceux qui soutiennent le gouvernement ont l’habitude de se reposer sur lui. Si le gouvernement paraît s’abandonner, ils s’abandonnent eux-mêmes. Il est donc nécessaire autant que juste que le gouvernement, par ses agens confidentiels, use, pour se défendre et pour faire triompher sa politique, de tous ses moyens honorables et légitimes d’influence et d’action. Renfermée dans de certaines limites,