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comprenaient qu’un ennemi leur était né, et que les mystères commentés d’abord avec respect, puis divulgués au grand jour, ne tarderaient pas à être attaqués, vaincus, abolis. Que restait-il des croyances antiques dans le vieux monde romain à l’apparition du christianisme ? Des temples et des statues, de grossières superstitions dans le peuple, et quelques augures qui ne pouvaient se regarder sans rire. La philosophie, qui avait envahi tous les sanctuaires et triomphé de tous les dieux, essaya de ressusciter ce cadavre, quand elle se sentit elle-même attaquée de front par un dieu inconnu ; mais ni la puissance impériale, ni l’érudition, ni le génie, ni le culte des traditions, qui est à lui seul une religion dans le cœur de l’homme, ne purent en venir à bout. Le christianisme, vainqueur après une lutte de plusieurs siècles, dispersa les écoles philosophiques, et ne laissa pas un asile, dans les trois parties du monde connu, aux derniers représentans de la philosophie grecque. L’église chrétienne s’empara de toutes les écoles, et régna souverainement par la double autorité des lumières, dont elle eut le monopole, et de la force temporelle qu’elle s’arrogea. Le second enfantement de la philosophie fut plus laborieux que le premier. À chaque liberté réclamée par l’esprit humain, les bûchers s’allumaient, les guerres éclataient. Notre langue française était fixée, Bacon et Descartes vivaient, quand Jordano Bruno et Vanini, l’un à Rome et l’autre à Toulouse, inauguraient par leur martyre les siècles de la liberté de l’esprit humain. Quel était donc cet enseignement de l’église chrétienne auquel des hommes éminens par le génie et par la vertu résistaient au péril de leur vie ? L’église n’enseignait que les vérités les plus sublimes, la morale la plus pure ; les sectes qui s’élevaient dans son sein et qu’elle poursuivait par le fer et le feu, restaient bien au-dessous des nobles enseignemens de la foi. Mais la liberté est aussi un besoin ; et, pour certaines ames d’élite, c’est le plus impérieux de tous. Ne croit pas qui veut, il faut des raisons de croire ; et même, si l’intelligence se soumet, il lui faut des raisons de se soumettre. Le sentiment de Galilée, quand il criait que la terre tourne pourtant, est plus commun qu’on ne pense. On peut se parjurer, on peut mentir, on peut mourir ; mais au fond de la conscience de chacun de nous la raison ne cède qu’à la démonstration ; on a pu arracher la langue de Vanini avec un forceps, mais il fallait recourir au raisonnement et aux procédés philosophiques pour arracher ses opinions de son cœur.

Ce n’est donc pas uniquement parce que la foi ne s’étend pas à tous les objets dont s’occupe la pensée humaine, c’est parce que la