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à leur source éternelle, ces vérités premières qui éclairent notre raison ?

Reste donc à M. Buchez la révélation traditionnelle, c’est-à-dire, la révélation faite une fois de Dieu à l’homme, et transmise de génération en génération ou par la tradition ou par l’église. C’est donc la révélation traditionnelle qui est chargée de nous fournir les idées, que la sensation n’aurait pas la puissance de produire. Naturellement, et si nous étions abandonnés à nous-même, nous serions dans l’état où les sensualistes prétendent que nous sommes ; mais grace à l’éducation, fondée elle-même sur la tradition, nous apprenons ces idées en quelque sorte surnaturelles. Il n’y a à cela qu’une difficulté mais elle est grave. Une fois en possession de ces idées que l’homme ne saurait acquérir par lui-même, comment fera le prophète pour les communiquer ? Nous sommes prêt, pour nous, à admettre que les hommes ont inventé le langage ; mais nous ne voulons et ne pouvons l’admettre qu’à une seule condition, qui ne se rencontre pas ici : c’est que le langage n’exprime d’autres idées simples que celles qui sont communes à tous les hommes. Quant à M. Buchez, qui est de l’école de M. de Bonald, et qui soutient que deux hommes livrés à l’état de nature ne pourraient jamais convenir d’un signe pour exprimer une idée dont chacun d’eux est pourvu, comment se représente-t-il le prophète donnant un nom à une idée simple qui est dans son esprit et dans nul autre, et, au moyen de ce nom, créant dans les autres hommes cette idée qui leur manque, et qu’ils ne sont pas faits pour acquérir ? Donnerez-vous à un sourd-muet l’idée du son avec des couleurs, ou à un aveugle l’idée des couleurs avec des sons ? La révélation ne pourra donc rien changer à l’état de l’humanité ; elle n’éclairera que le prophète ; ou vous aurez recours à la raison, ou vous resterez sensualiste. On peut mettre la révélation au-dessus de la raison ; mais on ne peut pas la mettre à la place de la raison.

Telle est la bizarrerie du système de M. Buchez, qu’il ne regarde pas la révélation comme infaillible, où du moins ne la regarde-t-il pas comme évidemment infaillible, car il place au-dessus d’elle un criterium, et ce criterium est une partie d’elle-même ; c’est la morale révélée. Il nous faut, dit-il, un principe au moyen duquel nous cernions la vérité de l’erreur ; ce principe, ce criterium, ce n’est pas la société, car elle se trompe, ni la législation, puisqu’elle a des principes. « Ce quid (il appelle ainsi le principe de la certitude pour plus de concision et d’énergie), ce quid ne tient pas non plus à