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PHILOSOPHIE DE M. BUCHEZ.

contribuer au progrès, n’est-ce pas le but évident de toute philosophie nouvelle ? Celui qui admirerait le passé sans réserve, et croirait tous les progrès accomplis, irait-il construire un système, et ne se bornerait-il pas à l’histoire ? Philosophie et indépendance, indépendance et progrès, n’est-ce pas, sous trois noms, une même chose ? Et s’il en est ainsi, qui donc, parmi les philosophes, est au point de vue du progrès, et qui n’y est pas ? Depuis quand la philosophie peut-elle, sans changer de nom, devenir volontairement réactionnaire ? Dirons-nous que ceux-là ne sont pas au point de vue du progrès, qui croient faire du nouveau et ne font que ressasser de vieux systèmes ? ou que, pour être au point de vue du progrès, il faut non-seulement croire que l’on innove, mais innover réellement, et d’une manière avantageuse pour l’humanité ? Que signifie alors cette déclaration inscrite sur le titre, que l’on est philosophe au point de vue du progrès ? Est-ce un jugement de l’auteur sur son œuvre ? Peut-être a-t-on cru devoir prendre cette enseigne pour indiquer une grande nouveauté et une grande importance dans les résultats qu’on apporte ? Chacun croit innover sans doute ; mais les uns veulent innover avec sagesse et modération, les autres ne respirent que changemens, et veulent innover pour innover ; est-ce là la distinction qu’on a voulu faire ? Il n’y a pas en philosophie de réformateur, par la raison que tout philosophe est réformateur, ou veut l’être.

Il est vrai que la théorie particulière de M. Buchez ne s’applique pas à l’humanité toute seule, mais à la création entière ; et dans ce sens, mais dans ce sens seulement, elle constitue une opinion distincte, et peut appartenir en propre à une école, Ce n’est pas comme inventeur d’un nouveau système, ce n’est pas parce qu’il s’efforce de contribuer aux progrès de l’espèce humaine en apportant de nouvelles lumières sur notre condition et de nouveaux moyens de l’adoucir, ce n’est pas pour cela qu’il appelle sa philosophie la philosophie du progrès ; c’est parce qu’à ses yeux le monde tout entier, l’œuvre de Dieu, s’améliore et marche en avant ; le monde passe actuellement, par une suite de transformations successives, d’un état pire à un état meilleur, il est en voie de progrès ; et M. Buchez, qui a fait cette découverte, ou qui partage cette opinion, est, à cause de cela, un philosophe du point de vue du progrès. Dieu n’avait d’abord créé que la terre stérile et déserte ; peu à peu, sous l’action des lois physiques, elle devint digne d’être habitée ; Dieu la peupla d’animaux, et un grand progrès fut accompli. Bientôt les animaux eux-mêmes embellirent leur séjour, et quand la terre fut devenue un paradis terrestre,