Dieu créa l’homme et le lui donna pour maître. À son tour, l’homme agit sur cette terre par la culture, et il la prépare pour des êtres plus parfaits que lui. Nous ne sommes ici que des maîtres provisoires dont la loi est de travailler sans cesse à nous rendre inutiles. Dieu qui n’abandonne jamais l’ouvrage de ses mains (car il ne peut se tromper, et toutes ses créations sont bonnes), n’anéantit pas une espèce quand il en produit une autre, et l’humanité doit subsister encore, même après l’avènement de cette race supérieure que M. Buchez entrevoit dans l’avenir. Sans doute il faut triompher de son orgueil pour le ranger à une opinion pareille, et, s’il est fidèle à ses principes, M. Buchez doit admettre en astronomie le système de Galilée.
Un des principes sur lesquels repose cette théorie, c’est que Dieu agit continûment sur la matière ; et la formule de cette action continue, c’est qu’elle a lieu suivant la ligne droite, et non suivant la ligne circulaire. Cette expression cabalistique est destinée à nous faire entendre que le monde ne revient jamais sur lui-même, que le progrès a lieu sans intervalles, que le moyen-âge, par exemple, n’a jamais existé, qu’il n’y a jamais eu de cataclysmes, et que la Science nouvelle de Vico est une pure rêverie. M. Buchez établit que, la passivité ayant été créée en quelque sorte comme infinie, l’action de Dieu ne pouvait pas avoir pour effet de l’augmenter, mais seulement de la diminuer et de la convertir successivement en résistance. Il ne dit pas si, de progrès en progrès, la passivité en quelque sorte infinie doit se changer en une résistance en quelque sorte infinie. Il ne dit pas non plus ce que c’est que cette passivité, ni à quoi résiste cette résistance ; si c’est à Dieu, le progrès que Dieu accomplit en ligne droite le conduit directement à l’impuissance. Il est vrai que Dieu n’accomplit pas ce progrès par son action immédiate ; car, s’il diminuait lui-même la passivité, s’il l’anéantissait à un degré quelconque, on pourrait dire qu’il s’est trompé en la produisant ; au lieu de corriger lui-même son œuvre, il crée successivement des êtres qui la corrigent pour lui. Il est fort différent en effet de diminuer lui-même la passivité, ou de créer des êtres destinés uniquement à opérer cette diminution. C’est là un principe fécond, comme on voit, et qui ouvre la porte a des créations sans nombre ; M. Buchez l’a emprunté aux valentiniens, malgré son aversion pour les hérétiques et pour les doctrines d’origine indienne. Ces créations successives, par lesquelles Dieu s’efforce d’améliorer la première, ne sauvent sa bonté qu’aux dépens de sa puissance. L’im-