cœur avec l’opinion qu’il a émise sur l’alliance de la France et de l’Allemagne, et ces désirs d’alliance ressortent pour nous non-seulement de ses deux brochures, mais de la plupart de celles qui ont été écrites sur la prise de possession des bords du Rhin. Les unes ont été dictées par d’obscurs fonctionnaires désireux de faire leur cour aux gouvernemens prussien et bavarois. Ce sont les moins nombreuses, et nous n’en tenons aucun compte. En Allemagne comme en France, partout il faut plaindre ces pauvres salariés de chancellerie, qui, pour obéir à leur maître, torturent leur esprit et font mentir leur conscience. Mais ceux qui peuvent dire, la tête levée et la main sur le cœur : voilà ce que nous aimons ; ceux-là, soit qu’ils invoquent une constitution, soit que, chose plus hardie encore dans ces jours d’affaissement, ils osent se faire les défenseurs du pouvoir, nous voulons les respecter et les écouter avec attention. Or, ceux-là qui représentent dans ses diverses nuances, non pas la craintive pensée des seigneuries allemandes, mais l’opinion d’un grand peuple, savent rendre à la France l’hommage qui lui est dû ; tout en défendant le Rhin comme ils doivent le faire, ils ne montrent guère l’envie de s’armer, de se battre contre nous. D’ailleurs, on ne se bat point quand on discute tant. Nous croyons donc à la paix entre la France et l’Allemagne. Nous croyons à l’alliance durable, de plus en plus profonde et éminemment civilisatrice, des deux peuples. Un livre publié récemment par un écrivain qui agite tour à tour, avec tant de verve et d’ironie les questions de littérature et de politique, confirme en nous l’idée de cette alliance au point de vue le plus pacifique, mais, hélas ! il faut le dire, le moins idéal. Je veux parler du nouveau livre de M. Heine.
Heinrich Heine uber Ludwic Borne (Henri Heine sur Louis Boerne). — Je veux garder le laconisme du titre allemand, et je me rends coupable d’un barbarisme. Que les lecteurs me pardonnent. Quiconque voudra lire ce volume sera bien obligé de faire d’autres concessions à l’auteur. Avec ce petit livre élégant, coquet, et qui ressemble, sous sa couverture jaune et ses feuillets satinés, au roman qu’un jeune écrivain jette d’une main timide et suit d’un regard inquiet dans le monde littéraire ; avec ce titre si simple en apparence, mais si cruel au fond, Heine a fait crier et gémir d’un bout de l’Allemagne à l’autre le carillon de la presse, et, s’il était traduit en français, il pourrait bien soulever parmi quelques-uns de nos grands journaux la même tempête. Mais je ne veux pas prolonger davantage les préliminaires ; je viens au fait. Ce livre n’est point une notice biographique, ni une appréciation littéraire. C’est une nouvelle promenade de l’auteur des Reisebilder, une promenade dans l’enfer grotesque de ce monde, Boerne et Heine représentent Virgile et Dante, où Mme Wohl, la zweideutige Dame, comme l’appelle l’amer historiographe de ce voyage, figure Béatrix ; où la démocratie est, comme Françoise de Rimini, surprise dans son crime et frappée d’un glaive qu’elle emporte dans le flanc ; où l’on aperçoit dans le lointain la sombre tour d’Ugolin,