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conseiller de justice dans la province de Dethmar. Toute la famille quitta alors la capitale du Danemark pour aller habiter le petit village de Meldorf. Il faut encore placer ce changement de situation au nombre des circonstances favorables qui influèrent sur le caractère et la destinée de Niebuhr. Éloigné des distractions d’une grande ville, retiré dans une solitude paisible, sous la sauve-garde d’une mère intelligente et tendre, sous la tutelle d’un homme qui avait passé sa vie à s’instruire, qui avait vécu dans le monde des savans et visité les pays lointains, et dont la demeure, assez humble du reste, était remplie de livres précieux, Niebuhr s’habitua de bonne heure aux douces et salutaires jouissances d’une vie calme et retirée, de la vie de famille et d’étude. Son père fut son premier maître ; il lui enseignait le français, l’anglais, l’histoire, la géographie. Un de leurs voisins, homme de goût et d’instruction, le poète Boje, éditeur de l’Almanach des Muses de Goettingue, venait assez souvent les voir et mêlait aux graves pensées du savant Niebuhr les fleurs plus suaves et plus légères de la littérature. De temps à autre aussi, un étranger, attiré par la réputation du voyageur en Arabie, venait visiter sa retraite et ouvrait, par ses entretiens, de lointaines perspectives aux regards de l’enfant qui, assis alors sur les genoux de son père, écoutait d’un air pensif et s’élançait par la pensée à travers ces lieux inconnus dont il entendait décrire l’aspect et raconter les mœurs.

Entouré ainsi de tout ce qui pouvait en même temps éveiller son imagination et donner à ses idées naissantes une direction avantageuse, le jeune Barthold ne tarda pas à se distinguer par l’élan de son intelligence et par l’ardeur qu’il mettait à s’instruire. Peut-être qu’alors, avec son esprit porté à l’enthousiasme, au milieu de la solitude où il vivait, au sein d’une nature agreste et mélancolique, une légère impulsion eût suffi pour le jeter dans les voies de la poésie ; mais son père était là, qui n’accordait qu’un espace limité au vague essor de son enfance, qui l’arrêtait d’une main ferme dans le cours de ses rêves vagabonds et le ramenait par des sentiers directs à la réflexion, à l’étude sérieuse. Il s’éloigna donc des domaines de la poésie pour entrer dans ceux de la science, et l’on raconte que tout jeune il se passionnait déjà pour les idées politiques, il se traçait sur la carte une contrée imaginaire dont il se déclarait le chef, et à laquelle il donnait des lois, des institutions. Ainsi Goethe, dans son enfance, composait de petits drames et les jouait avec sa sœur. Ainsi Bernardin de Saint-Pierre, fuyant de l’école, s’en allait dans un bois pour y vivre en ermite. Souvent le génie de l’homme se révèle par une de ces manifestations légères avant de porter ses fruits. L’enfance est la fleur embaumée qui en laisse percer le germe à travers sa mobile enveloppe, et l’âge mûr ne fait éclore que ce qui était préparé depuis long-temps.

À treize ans, Niebuhr entra au gymnase de Meldorf, sans cesser d’être dirigé et encouragé dans ses travaux par son père. Plus tard il entra dans une école de Hambourg, où il étudia avec ardeur les langues modernes. En 1807, son savoir philosophique était ainsi récapitulé dans une lettre de son