père : « Il n’avait que deux ans lorsqu’il vint à Meldorf ; ainsi l’allemand peut être regardé comme sa langue maternelle. Dans le cours de ses études, il apprit le latin, le grec, l’hébreu. En outre il apprit à Meldorf le danois, l’anglais, le français, l’italien, assez pour pouvoir lire un livre écrit dans une de ces langues-là. Des ouvrages jetés sur nos côtes par un naufrage lui donnèrent occasion d’étudier le portugais et l’espagnol. Il n’étudia pas beaucoup l’arabe chez moi, parce que j’avais prêté mon dictionnaire arabe et que je ne pus m’en procurer un autre. À Kiel et à Copenhague, il s’exerça à parler et à écrire le français, l’anglais et le danois. Sous la direction du ministre d’Autriche à Copenhague, le comte Ludolph, qui était né à Constantinople, il apprit le persan, et ensuite de lui-même l’arabe ; en Hollande, le hollandais, à Copenhague le suédois et un peu d’islandais ; à Memel, le russe, le slavon, le polonais, le bohême, l’illyrien. Si j’ajoute à cette énumération le plat allemand, voilà vingt langues bien comptées. »
En 1794, il entra à l’université de Kiel, beaucoup plus instruit que la plupart de ses condisciples, et bien plus avide qu’eux tous d’étude et de savoir Ses lettres, à cette époque, indiquent une vive exaltation d’esprit. Il se passionne pour l’antiquité ; il lit avec des transports d’enthousiasme les historiens grecs ; il pleure avec Euripide, il s’enflamme avec Homère. En même temps il jette autour de lui un regard inquiet et frémit d’impatience en voyant chez ses professeurs, dans la bibliothèque de l’université, tous les livres qu’il ne connaît pas encore, qu’il voudrait connaître, et qu’il n’aura peut-être jamais le temps de lire. « La tête me tourne, écrit-il un jour à son père, en songent à tout ce que j’ai encore à apprendre : philosophie, mathématiques, physique, chimie, histoire naturelle, l’histoire dans la perfection, l’allemand et le français dans la perfection, puis le droit romain aussi bien que possible, puis une partie des autres jurisprudences, les constitutions de l’Europe entière, tout ce qui tient à l’antiquité, et tout cela dans l’espace de cinq ans au plus. Il faut que j’apprenne tout cela. Mais comment ? Dieu sait. »
Rien de ce qui fait ordinairement la joie des étudians allemands, courses à cheval, réunions bruyantes, rien ne pouvait le détourner de la tâche régulière qu’il s’imposait chaque matin et du bonheur qu’il éprouvait à compulser un livre de science. Le monde l’attirait peu. Les femmes lui inspiraient une sorte de terreur. « De jour en jour, écrivait-il, je dois paraître plus sot aux yeux des femmes. La timidité m’ôte le courage de leur adresser la parole, et par cela même que je crois leur être insupportable, je supporte difficilement leur présence. »
Deux années se passèrent ainsi, deux années d’efforts courageux, d’études assidues et de réflexions. Dans cet espace de temps, il s’était tellement distingué par la portée de son esprit et l’étendue de ses connaissances, que le Comte de Schimmelmann, premier ministre de Danemark, l’appela auprès de lui comme secrétaire. Niebuhr porta dans le monde, où il entrait si subitement, les goûts qui l’avaient constamment occupé à Meldorf, à Hambourg,