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Brandis ne trouve comme moi rien d’élyséen dans ce lieu. La ville avec ses habitans n’a nul charme pour moi ; mais tu aimerais à contempler du haut des collines les magnifiques points de vue ouverts de côté et d’autre. Je persiste à regarder en étranger les ruines du temps des empereurs, et, en vérité il y a très peu de choses réellement belles. Les fresques de Raphaël et de Michel-Ange, quelques vieilles statues, voilà ce qui est beau et vivant à Rome. Souvent aussi je monte sur le Capitole, je m’arrête devant Marc-Aurèle et je n’ai pu résister au désir d’embrasser les lions de basalte. On ne gravit pas au sommet du mont Aventin et du mont Palatin sans qu’il s’éveille en vous une austère pensée ; mais, après tout, l’aspect de ces lieux ne me rapproche guère de l’antiquité. »

Une autre fois il dit :

« Je cherche à m’occuper, mais j’y parviens difficilement ; l’ennui, les incommodités des réunions du grand monde, si fréquentes dans cette saison, me paralysent. Je n’ai jamais vu de société si vide et si fatigante que celle qu’on trouve ici. Mon désir est d’esquisser au moins l’histoire romaine, si je ne puis la travailler à fond. Je reste consciencieusement des heures entières devant mes livres, et la pensée, la perspicacité, ne me servent plus comme autrefois. Il y a dans mon esprit un souvenir confus de mes lectures, de mes observations, que je ne puis parvenir à éclaircir et à fixer d’une manière déterminée. J’ai éprouvé souvent le sentiment de la vie étrangère, mais jamais autant qu’en Italie. Il n’est pas possible de s’associer aux hommes de ce pays par des intérêts et des sentimens communs. Aucune question de science ni d’affaires ne peut nous lier à eux. S’il était permis de rester à l’écart, le mal ne serait pas si grand ; mais cela n’est pas possible ; il faut entrer en relation avec eux. Tout a une apparence distinguée, tout a un rang ; seulement ce qui est noble et beau n’a ni rang ni existence. Les idées qui nous occupent le plus leur sont étrangères ; nul but ne dirige leurs pensées. »

Et plus loin :

« La vie est triste en Italie, mais je n’aurais jamais cru que tout fût si triste ici. Que me servent les œuvres d’art ? Je suis malheureusement comme nos anciens Romains, trop peu enthousiaste de l’art pour vivre par lui et trouver en lui une compensation à tout ce que réclame en vain ma nature individuelle. Là où le monde vivant est pénible à voir, comment l’ame qui se sent heureuse et fière d’observer l’esprit, le cœur humain, pourrait-elle trouver une compensation à ce qui lui manque dans l’étude des peintures, des sculptures et des édifices ? Quel homme pourrait vivre seulement d’épices et de parfums ? Les Italiens sont une nation de morts ambulans ; il faut les plaindre et non pas les haïr ; car ils ont été poussés à cet état de décadence par un malheur inévitable. Esprit et science, toute idée qui fait battre le cœur et toute noble activité sont bannis de ce sol. N’y cherchez ni espérances, ni désirs, ni efforts, ni même la joie ; car je n’ai jamais vu un peuple moins joyeux. À Venise, à Florence, nous avons encore trouvé quelques hommes qui