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promptement les bonnes armées, surtout lorsque les soldats qui viennent remplir ces cadres sont des Français, et qu’ils y trouvent d’habiles officiers, des hommes d’expérience et de glorieuses traditions. Que nous importe l’effectif en temps de paix, si les cadres subsistent, s’il ne s’agit, la guerre menaçant d’éclater, que d’en remplir les vides par nos admirables conscrits ? Multiplions les congés, rendons un grand nombre de bras à l’agriculture ; nous le voulons bien. La grande guerre n’éclate pas du jour au lendemain. En trois mois, avec les cadres, vous aurez une excellente infanterie : si le nombre des cadres était insuffisant, s’il fallait, comme l’an dernier, les briser pour les multiplier, désorganiser pour accroître, la confusion serait dans tous les rangs, et l’armée ne serait pas, au bout de six mois, en état de repousser l’ennemi avec la certitude d’un prompt et brillant succès. Ce sont là de ces vérités de bon sens qu’on ne peut obscurcir, des vérités politiques ; la politique n’est que du bon sens. Tant que nous nous trouverons en présence de nations fortement armées, et dont les intérêts et les sympathies ne seront pas sincèrement d’accord avec nos sympathies et nos intérêts, ce serait un crime que de désarmer la France. Or il n’est qu’un moyen de l’armer sans épuiser ses finances, de pourvoir à sa sûreté sans paralyser sa prospérité ; c’est d’entretenir, je parle surtout de l’infanterie, beaucoup de cadres et seulement le nombre de soldats strictement nécessaire à l’instruction de ces cadres et aux besoins de l’état de paix ; c’est d’avoir une organisation qui nous permette l’économie, tout en nous donnant les moyens de passer facilement, sans désordre et sans trouble, du désarmement à l’armement, de l’état de paix à l’état de guerre, et cela d’une manière conforme à la grandeur et à la puissance française. Des cadres nombreux peuvent seuls résoudre la question dans un pays où, quoi qu’on fasse, la guerre ne sera jamais qu’une profession, une profession hautement honorée, conforme au génie national, mais une profession particulière, savante, qui est entièrement perdue de vue par ceux qui se destinent aux carrières civiles. Pourrions-nous, comme dans quelques pays, appeler chaque année, pendant un mois, deux mois, les hommes voués à ces carrières, les réunir dans des camps d’exercice, dans des écoles militaires, instruire ainsi les uns au commandement, plier les autres au joug de la discipline ? Ce serait un rêve. Si on essayait de le réaliser, nos finances ne s’en trouveraient certes pas soulagées.

Ajoutons qu’en cas de guerre il nous faudrait mobiliser une partie de la garde nationale ; et il serait fort utile de pouvoir, au lieu d’en former des régimens à part, l’incorporer sous forme de quatrièmes bataillons aux anciens régimens de l’armée. Cela serait cependant impossible si on restreignait le nombre des cadres ; la place des quatrièmes bataillons serait alors occupée par la ligne.

Ces considérations, dont l’importance sera de plus en plus sentie à mesure que s’amortiront les luttes du moment, ont été développées à la tribune par M. Thiers avec une puissance de talent, une autorité de langage, une vivacité de sentiment, qui ont vivement ému ses adversaires eux-mêmes : ils ont dû