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REVUE. — CHRONIQUE.

coup, ajoutait-on en soi-même en se frottant les mains. Dans le second cas, sir Henri, en acquittant les accusés cités par lui-même, prononcera sa propre condamnation, et la place ne sera plus tenable pour lui. Pour le commerce, il ne disait rien ; mais il est aussi puissant dans le conseil des directeurs que le sont les banquiers de Londres dans le parlement. C’est le commerce indien qui exige le renouvellement des hostilités en Chine, et elles vont avoir lieu. C’est tout dire.

« Une cour de justice anglaise n’est pas, vous le savez, un lieu où l’on s’adresse aux passions ; à peine si les raisonnemens y prennent place ; et, pour les sentimens, il n’en est pas question. Chez nous, le juge prononce ; dans les pays de jurisprudence anglaise, c’est la loi. Or, la loi anglaise se complique des statuts de tous les règnes et des décisions de tous les grands jurisconsultes, pourvu qu’ils soient morts, comme la loi, qui est une lettre morte qu’on applique aux accusés religieusement, les yeux fermés. On discute donc dans un tribunal, non pour savoir si l’accusé a eu telle ou telle intention plus ou moins coupable ou criminelle, mais pour trouver la loi applicable à son cas. Chaque procès semble ainsi une thèse défendue par l’avocat et attaquée par le juge, puis vice versa, et un spectateur étranger entre si bien dans cette fiction, que, la lutte finie, au lieu d’une réception de docteur en droit qu’il s’attend à voir, il est bien surpris de se retrouver devant un accusé qu’il avait perdu de vue, et qui attend qu’on le condamne ou qu’on l’absolve.

« Donc, ce matin, sur la grande table placée devant les trois avocats, étaient rangées en bataille quelques centaines de gros volumes que sept ou huit pauvres nègres avaient péniblement apportés. Sir Henri Roper de son côté, avait un pareil arsenal sur son banc. Je m’attendais à voir recommencer le combat classique du Lutrin. Mais à ce jeu-là sir Henri Roper n’eût pas été le plus fort, malgré l’avantage de sa position élevée. Que vouliez-vous qu’il fît contre trois ? Heureusement, le combat ne devait avoir lieu qu’à coups de citations. Chaque avocat cita successivement des statuts de différens règnes, et les décisions de William Cook, de Blackstone, de lord Ellenborough, et de tous les légistes célèbres, découvrant habilement au milieu de l’amas de livres celui dont il avait besoin, et dictant au magistrat l’indication de la page, de la ligne et du chapitre, que celui-ci recueillait avec soin. Les plaidoiries continuèrent ainsi trois longues heures, et je me plaisais souvent à admirer l’air fier et matamore dont le plus jeune des avocats s’appuyait du coude sur l’in-quarto qu’il venait de citer, à peu près comme un Spartiate ou un Romain de feu David se repose de la glorieuse fatigue d’une victoire. Pendant tout ce temps, sir Henri Roper se bornait à prendre note des passages qu’on lui jetait ainsi à la tête, mais très respectueusement pourtant. Enfin la bibliothèque de la défense s’est trouvée épuisée, et le chief-justice a levé la séance, une demi-heure, a-t-il dit, pour aller préparer le jugement.

« Cette demi-heure a duré deux grandes heures du tropique, plus une heure et demie environ pour lire le jugement composé à l’aide de la bibliothèque du tribunal, encore plus nombreuse que celle des avocats, et rédigé en manière