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LES PROVINCES DU CAUCASE.

des villages cachés par les vergers et les vignes qui les entouraient, je m’avançai jusqu’au défilé qui conduit à Yelissou. Notre escorte se composait de dix montagnards de la milice et de deux Cosaques. Je passai plusieurs cours d’eau qui vont se perdre dans l’Alazan ; ces cours d’eau arrosent des rizières. Les habitans des villages qui se trouvaient sur notre route vinrent à ma rencontre, m’offrant des raisins délicieux, des pêches et des poires, et refusèrent, à ma grande surprise, d’accepter l’argent que je leur fis offrir.

Les montagnes, se resserrant, encadrent la rivière d’Yelissou, qui se précipite au milieu des rochers. La température, très chaude dans la plaine, change tout-à-fait dans la montagne. Les arbres cessent d’embellir le paysage, et l’on n’est plus entouré que de rochers arides et de montagnes à pic. J’entrai à Yelissou et vins m’établir chez le sultan de ce district et de celui de Routoul. Ce sultan, vassal de la Russie, est jeune et d’une figure agréable, quoique cité pour sa cruauté. Il vint me souhaiter la bien-venue. On nous servit un dîner moitié russe, moitié oriental. Le sultan se crut obligé de manger avec une fourchette, mais son peu d’habitude de s’en servir lui causait un véritable embarras.

Le sultan d’Yelissou a le grade de colonel dans l’armée russe ; j’obtins de lui quelques détails intéressans sur les divisions qui règnent parmi les différentes tribus du Daghestan. Il m’assura que c’était à ces divisions seulement que les Russes devaient les progrès de leurs armes ; isolant les diverses peuplades, il les soumettent ou les détruisent, profitant de l’inaction et de l’indifférence des tribus voisines. Nous parlâmes long-temps de Méhémet-Ali ; je remarquai l’intérêt que prennent les montagnards à ses succès, et les vœux qu’ils font pour sa cause, qu’ils regardent comme le triomphe de l’islamisme. Le sultan d’Yelissou recourut aux protestations les plus vives pour m’exprimer son dévouement à la Russie ; je ne voulus pas refroidir son zèle en lui disant que le général Andrep avait été au moment de donner l’ordre de l’arrêter à la suite de quelques réclamations faites avec insistance et qui déplaisaient au général.

Le sultan d’Yelissou possède, sous la suzeraineté de la Russie, quarante-sept villages dépendant d’Yelissou et de Routoul, en tout quatre mille maisons ou vingt mille habitans. Les communications sont interrompues pendant sept mois de l’année, à cause de la quantité de neiges qui couvre les montagnes. Les arbres manquent entièrement ; la vallée de Routoul, arrosée par le Samour, produit