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du millet en grande abondance. Les habitans des villages dans la montagne ne peuvent entretenir qu’un petit nombre de bestiaux à cause de la rareté des pâturages. Ils ont presque tous des chevaux. La culture est excessivement limitée dans la montagne ; c’est à peine si les habitans recueillent dans les bonnes années la quantité de grains nécessaire à leur nourriture.

Un des neveux du sultan se joignit à quelques autres montagnards pour me servir d’escorte. Descendant d’Yelissou, qui s’élève sur les bords de la rivière et la domine, je m’engageai dans les montagnes, en remontant le cours du torrent. Après trois heures de marche dans un pays qui n’était remarquable que par son aspect sauvage, nous arrivâmes au pied d’une haute montagne qu’il nous fallut gravir. La route était tracée en spirale ; à plus de mille pieds au-dessus de nous, j’apercevais des montagnards qui contemplaient notre ascension. Il leur eût été facile, en faisant rouler quelques pierres, de nous anéantir tous. La stupidité des habitans explique seule comment les Russes ont pu pénétrer avec des canons dans un pays si bien défendu par la nature. On a construit depuis peu cette route que les neiges et les torrens détruisent chaque année au retour de l’hiver, et qu’il faut par conséquent sans cesse rétablir ; les montagnards que j’apercevais étaient occupés à la réparer ; ils nous regardèrent passer avec curiosité, sans témoigner de malveillance. Descendus des sommets élevés sur lesquels nous étions parvenus, nous entrâmes dans le lit d’un autre torrent ; des neiges abritées par la montagne avaient résisté aux chaleurs du mois d’août ; tout le sol qui nous environnait était aride. Les rochers, d’une teinte grisâtre, n’ont pas le caractère grandiose de la chaîne du Taurus ; quelques beaux points de vue seulement nous étaient offerts par des cascades qui, tombant d’une grande hauteur, venaient se réunir avec bruit au torrent qui coulait sous nos pieds.

Je vis quelques malheureux villages ; j’admirai la constance des habitans qui s’attachent à de semblables demeures. Ce n’est qu’avec peine qu’ils peuvent récolter les grains nécessaires à leur nourriture. Mes guides me dirent que beaucoup de villageois souffraient de la famine dans les années où des froids continus interrompaient toute communication avec la plaine de Routoul.

Je m’étais élevé en huit heures de marche jusqu’au village de Zakhur, où je changeai de chevaux. Descendant progressivement, je suivis le cours du Samour et passai la nuit à Soubach. Aussitôt notre arrivée, on fit tuer un mouton qui, mêlé avec du riz, forma