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REVUE DES DEUX MONDES.

« Eripuit cœlo fulmen sceptrumque tyrannis. »
« Il ôte au ciel la foudre, et le sceptre aux tyrans. »

double mensonge ; personne n’a encore arraché la foudre aux nuages qui la fabriquent et la recèlent ; et si les Anglais, pour avoir maladroitement essayé d’imposer leur colonie, se sont vus forcés de souscrire son émancipation, on ne peut voir dans ce fait historique, très simple et naturel, ni sceptre ni tyrans. Le bonhomme Franklin apercevait toutes ces choses, et il était trop spirituel pour se laisser enivrer par cette atmosphère de brillantes paroles et de mensonges agréables dont on se repaissait alors en France. Mais M. de Nogaret, homme de génie suivant la mode, vivait dans ce nuage de pourpre, dans cette aurore boréale qui préludait par des nuances si vives à la révolution française. M. Félix de Nogaret écrivit donc à Benjamin Franklin une lettre avec commentaires de trois pages sur le vers latin attribué à Turgot, et qui est réellement du poète latin Manilius ; il s’étendit beaucoup sur les diverses traductions possibles de ce vers, et sur sa propre traduction, qu’il préférait à toutes les autres. Voici la petite lettre de Benjamin, en réponse à la prose de M. Félix de Nogaret ; il est impossible d’être plus goguenard et plus poli :

« Monsieur,

« J’ai reçu la lettre dans laquelle, après m’avoir accablé d’un torrent de complimens qui me causent un sentiment pénible, car je ne puis espérer les mériter jamais, vous me demandez mon opinion sur la traduction d’un vers latin. Je suis trop peu connaisseur, quant aux élégances et aux finesses de votre excellent langage, pour oser me porter juge de la poésie qui doit se trouver dans ce vers. Je vous ferai seulement remarquer deux inexactitudes dans le vers original. Malgré mes expériences sur l’électricité, la foudre tombe toujours à notre nez et à notre barbe ; et quant au tyran, nous avons été plus d’un million d’hommes occupés à lui arracher son sceptre. Je serai d’ailleurs charmé de recevoir vos vers sur un éventail que vous m’avez fait l’honneur de me promettre, Je suis, etc. »


Rien de plaisant comme la description qu’il donne de la fête champêtre à laquelle il assista chez Mme d’Houdetot, à Sannois, dans la vallée de Montmorency. Avec moins d’amour-propre et autant de finesse que Voltaire, il ne se laissait pas étourdir par la fumée de cet encens qu’on lui prodiguait, et se contentait de le respirer paisible-