Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/731

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
727
ANCIENS AUTEURS FRANÇAIS.

dans le siècle de Rabelais, de Montaigne, de Calvin, de Bonaventure Despériers, de d’Aubigné, de Marguerite de Valois, on sût écrire notre langue. Amyot est bien inférieur à tous ces écrivains : il n’a pas l’invention et la couleur du style comme Montaigne ; il n’a pas la souplesse, l’agilité de la période comme Rabelais ; ne lui demandez pas davantage la fermeté de Calvin, ni la netteté de Despériers, ni la verve de d’Aubigné, ni cette élégance achevée de la seconde Marguerite, qui par momens fait penser à l’hôtel de Rambouillet, à Voiture, à Balzac, au siècle de Louis XIV. La phrase, chez Amyot, n’est pas encore faite ; elle est souvent languissante, se traînant comme un lierre qui rampe au hasard, au lieu de voler au but comme une flèche. Malgré ces défauts, qui ne sont point ceux de l’époque chez les bons écrivains, Amyot a du charme ; il est abondant, facile, naturel, et, tout en réclamant pour d’autres plumes contemporaines plus habiles que la sienne, il faut accorder après elles une mention honorable à l’écrivain, duquel Racine disait, peut-être un peu par reconnaissance pour le traducteur de Théagène et Chariclée : « Son vieux style a une grace que je ne crois pas pouvoir être égalée dans notre langue moderne. »

Pour trouver cette grace dans toute sa fleur, il ne faut pas s’adresser au traducteur de Plutarque, mais au traducteur de Longus, Daphnis et Chloé n’est pas un roman, c’est une pastorale, une pastorale, il est vrai, écrite pour un siècle corrompu. L’auteur se plaît à des tableaux naïfs qui sont loin d’être chastes. Leur objet, c’est la nature à peu près dans le sens où l’on prenait ce mot au XVIIIe siècle, et dans cette nature l’ame tient moins de place que les sens. Longus a su mêler un grand charme de récit et de descriptions à la peinture des émotions naissantes qui agitent deux beaux adolescens dans une solitude, et l’on peut dire de son livre ce que l’abbé Delille a dit de l’île d’Othaïti :

Où l’amour sans pudeur n’est pas sans innocence.

Amyot a très bien reproduit ce qu’il y a de délicatesse et de simplicité dans l’idylle amoureuse de Longus.

Amyot a, selon moi, beaucoup moins complètement réussi dans sa traduction de Plutarque que dans ses traductions de Longus et d’Héliodore ; mais, comme il arrive très souvent, c’est le moins bon de ses ouvrages qui lui a fait le plus d’honneur.

Jamais deux noms littéraires ne furent plus étroitement associés dans la fraternité d’une renommée commune que le nom du rhéteur