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philosophe de Chéronée et le nom de son naïf interprète. Jamais traduction n’a fait corps avec son original comme la version d’Amyot avec les Vies parallèles de Plutarque. L’auteur ancien et l’écrivain moderne se sont prêtés mutuellement, l’un la gloire, et l’autre la popularité ; on eût placé le traducteur moins haut, je n’en doute pas, si l’importance d’un recueil qui nous montre l’antiquité en déshabillé pour ainsi dire n’avait communiqué à la reproduction française une part de l’intérêt qui s’attache à l’ouvrage grec, et d’autre part Plutarque eût été moins généralement lu, moins souvent cité, s’il ne nous fût arrivé plus naïf, plus clair, dans la prose diffuse, parfois traînante, mais toujours facile et naturelle d’Amyot. Aussi, voulant parler d’Amyot, je n’ai pu séparer de lui Plutarque, et ils seront unis dans cet article comme ils le sont dans la mémoire et dans l’imagination de mes lecteurs.

Le succès d’Amyot a été jusqu’à fausser l’opinion sur le compte de Plutarque, et faire de lui, pour quelques-uns, un écrivain semblable à son traducteur, duquel il diffère beaucoup en réalité. Cependant Amyot a-t-il complètement dénaturé son modèle, sa traduction a-t-elle complètement un contre-sens de caractère ? Je ne le crois pas ; je pense qu’il y a là quelque distinction à faire, quelque nuance à démêler. Les observations qui vont suivre sont de la même nature que celles qu’inspire la comparaison du pinceau d’un grand maître avec le crayon ou le burin qui le reproduit.

D’abord il faut partir de ce fait : Plutarque était un rhéteur. C’était là sa condition, son état ; il déclama en grec à Rome sous Domitien et sous Trajan, et grand nombre de ses Œuvres morales sont des déclamations. Je ne me sers point de ce mot dans le sens moderne pour en indiquer le caractère, mais dans le sens antique pour en désigner la nature. Les titres de plusieurs morceaux contenus dans les œuvres morales montrent que l’auteur a voulu seulement s’exercer sur une thèse qui lui semblait piquante ; tels sont les suivans : de l’Utilité à tirer de ses ennemis ; comme on peut se louer soi-même, et plusieurs autres. Au reste, le rhéteur se montre bien sensiblement dans la pensée même des Vies parallèles, dans cette conception symétrique qui oppose, sans jamais y manquer, un Grec à un Romain, comme si les grands hommes avaient toujours un correspondant et un vis-à-vis pour ainsi dire. Le génie n’a-t-il pas, au contraire, sa nature solitaire et isolée ? Plutarque n’a-t-il pas fondé les rapprochemens, les parallèles, — le mot est resté, entre les grands hommes ; exercice fatigant de l’école et prétentieux triomphe du bel esprit,