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ayant toujours augmenté, et l’amour du gain s’étant développé proportionnellement chez ces barbares, les rois ou chefs de tribus ont fini par vendre leurs propres esclaves aux marchands européens. Le changement de maîtres était un bienfait pour ces captifs ; en Afrique, l’esclave est non-seulement plus maltraité que sous la domination des blancs ; il est à peine nourri, n’est point habillé, et, s’il devient vieux ou infirme, s’il perd un membre par accident, on le tue, comme on ferait chez nous d’un bœuf ou d’un cheval.

Ainsi, même en abolissant la traite, on sera encore bien loin d’atteindre le but d’humanité que se proposent les nations qui se croient philantropiques. On connaît les efforts persistans de l’Angleterre pour affranchir les esclaves dans les colonies espagnoles ; si la source de ses efforts était pure, la Grande-Bretagne aurait une belle gloire à conquérir, celle de détruire le mal dans sa racine, en proclamant une sainte ligue en Europe. Cette nouvelle croisade aurait pour mission d’aller en Afrique apprendre aux tribus sauvages, soit par la persuasion, soit par la force, que l’homme doit respecter la vie et la liberté des hommes. Sans cela, le résultat de tant de nobles efforts sera incomplet et le but manqué ; car, si l’on présente aux malheureux nègres (et ils sont compétens dans l’affaire), si on leur présente, dis-je, la cruelle alternative ou d’être tués et mangés par les leurs, ou de rester esclaves au milieu d’un peuple civilisé, leur choix ne sera pas douteux ; ils préfèreront l’esclavage.

« Loin d’être un malheur, c’est un bonheur pour l’humanité que l’exportation des Africains esclaves aux Antilles, dit le célèbre Mungo-Park : d’abord parce qu’ils sont esclaves chez eux, puis parce que les noirs, s’ils n’avaient l’espoir de vendre leurs prisonniers, les massacreraient. » Cet aveu n’est pas suspect de la part d’un Anglais élevé par la société africaine à Londres, et nourri de ces maximes philantropiques qui, sous le voile de l’amour de l’humanité, cachent des vues d’intérêt et de monopole.

Il est hors de doute que l’île de Cuba fait du sucre meilleur et en plus grande quantité que les colonies anglaises de l’Inde, et que l’abaissement de l’industrie coloniale de l’Espagne, livrant aux Anglais le monopole exclusif d’une denrée qui est aujourd’hui de première nécessité dans le monde, deviendrait une source de prospérité pour la leur ; car, le sucre de la Nouvelle-Orléans et du Brésil n’étant pas encore comparable à celui de la Havane, l’île de Cuba est la véritable et unique rivale des colonies anglaises. Aussi les tentatives les plus coupables, les plus hostiles, ont été employées contre elle par la