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toute crainte ; ils s’exposaient au feu de bataillons entiers pour tuer des officiers russes. Aussi les assaillans comptèrent-ils bientôt plus de cent officiers morts ou blessés. De nouvelles troupes vinrent combler les vides faits par le feu de l’ennemi, et un assaut général mit fin à la résistance d’Akourjo. Néanmoins la victoire fut chèrement achetée ; tous les montagnards périrent les armes à la main. Akourjo fut pris, mais on ne put saisir Chamyl ; ce chef fanatique et cinq de ses affidés trompèrent la vigilance des sentinelles russes. Pour se rendre maître d’un village qu’ils ne pouvaient conserver, les Russes avaient perdu de quatre à six mille hommes. Aujourd’hui Akourjo est rasé ; sa position n’a rien perdu de sa force, et, le jour où les montagnards relèveront leurs chaumières et le mur d’enceinte, il faudra encore bien du sang versé pour s’en rendre maître.

Les Russes s’occupent en ce moment à construire la forteresse de Tchoura, située à trente verstes d’Akourjo et à vingt-cinq de Tcherkaie, résidence actuelle de Chamyl, où les Russes, instruits par le passé, n’osent l’attaquer. Tchoura est à environ cent cinquante verstes de Derbent, et à peu de distance du Terek.

Les officiers qui ont fait les guerres du Daghestan déplorent les pertes sans résultat qu’entraîne le système de conquêtes adopté par l’empereur. Ils remarquent avec raison que les montagnards se bornent à repousser les atteintes qu’on veut porter à leur indépendance par l’établissement de forts et de routes militaires. Durant les guerres contre la Perse et la Turquie, les montagnards sont restés paisibles. Les peuples du Daghestan demandent la libre introduction du sel et des grains nécessaires à leur consommation ; ils ne veulent aucun soldat russe parmi eux. Au lieu de les forcer à être toujours en armes, qu’on les laisse errer dans leurs montagnes, conduire leurs troupeaux et cultiver leurs terres ; ils perdront peu à peu leurs habitudes guerrières et apprendront à respecter les peuples paisibles qui habitent les vallées. Transiger avec eux est le parti le plus sage, car les Russes doivent renoncer à s’établir dans la montagne d’une manière fixe et stable, s’ils n’ont pas anéanti toutes les populations. Les premiers pas des Russes ont soulevé pour long-temps le fanatisme des montagnards. Après de grands succès suivis de revers, Khazi-Mollah, leur prédicateur enthousiaste, est venu tomber sur la brèche de Gimri ; mais Chamyl a succédé à Khazi-Mollah : il a ranimé le courage des montagnards par sa douce et persuasive éloquence. Le Daghestan est encore en armes, des milliers de Russes sont tombés à Akourjo, et chaque jour la Russie fait de nouvelles pertes dans des