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LES PROVINCES DU CAUCASE.

parmi eux. Toutes leurs armes, d’une trempe excellente, sont fabriquées dans le Daghestan. Ce sont eux-mêmes qui coulent et forent leurs canons de fusil.

Le colonel Wrangel, chef du régiment d’Érivan-Paskéwitch, voulut bien me confirmer les détails que l’on m’avait déjà donnés sur le siége d’Akourjo. Chamyl, le successeur de Khazi-Mollah, ardent instigateur de la révolte contre les Russes et prédicateur religieux du Daghestan, s’était réfugié à Akourjo, village d’environ trois cents maisons. Entouré de ses fidèles partisans, il inquiétait par ses menées les autorités russes. Le général Grabbe crut le moment favorable, et, réunissant six mille hommes de troupes et de l’artillerie, il s’avança par des chemins regardés comme impraticables jusqu’aux portes d’Akourjo. Il n’avait eu, dans cette course, qu’à résister à quelques attaques de montagnards, qui, connaissant tous les défilés, lui avaient fait éprouver des pertes d’hommes peu considérables. Un simple mur en terre défendait Akourjo, et le général crut qu’il suffirait de tenter un assaut pour s’emparer de cette bicoque, qui, située sur les bords du Koisou, n’est forte que par sa seule position. Akourjo s’élève sur un rocher à pic ; un ravin profond sépare et isole le village des montagnes environnantes. Pour arriver à Akourjo, il fallait descendre le long d’une arête d’à peine deux pieds de large. Si on venait à glisser ou à être atteint d’une balle, on tombait et on périssait infailliblement sur les rochers qui, bordant le lit du torrent, forment en cet endroit des précipices aussi terribles que profonds. Malgré les difficultés et les dangers du passage, qui devait s’opérer pas à pas sous le feu de l’ennemi, le général Grabbe ordonna l’assaut, et le colonel Wrangel marcha à la tête des hommes de son régiment, qui comptait quinze cents soldats d’élite. Ils s’avancèrent jusqu’à l’arête qui se prolonge sur une longueur de quarante mètres environ. L’ennemi laissa les Russes s’engager ; bientôt il ouvrit son feu ; officiers, soldats, tombèrent blessés mortellement ; la chute des uns entraîna celle des autres, et les rochers se couvrirent de cadavres. Trois fois le colonel revint à la charge ; il s’arrêta enfin, et, blessé lui-même, ne dut son salut qu’au dévouement de ses soldats. Des quinze cents hommes qu’il avait menés à l’attaque d’Akourjo, il en restait cinquante ; sur trente-quatre officiers, deux seulement avaient survécu ; les autres, frappés à mort, étaient tombés en combattant, ou étaient venus se briser misérablement sur les pointes des rochers. Le siége traîna en longueur, et les Tchetchens, animés par la présence de Chamyl, firent preuve d’un fanatisme qui les élevait au-dessus de