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REVUE. — CHRONIQUE.

expérimenté, d’avoir dissimulé à cet endroit et de n’avoir pas voulu tout dire. Quoi qu’il en soit, il amuse, il intéresse, il impatiente quelquefois par excès de trait et d’esprit, il n’ennuie jamais.


Hobbes, considéré comme métaphysicien, par M. Damiron. — Le nouveau volume que vient de publier l’Académie des Sciences morales et politiques, contient deux mémoires de philosophie ; l’un sur Thomas Hobbes, par M. Damiron, l’autre sur le Nyâya, par M. Barthélemy Saint-Hilaire. Ce serait une curieuse biographie à écrire que celle de Hobbes ; dans un mémoire destiné à une académie, M. Damiron a nécessairement laissé en dehors tous les faits biographiques, parce qu’ils ne peuvent donner lieu à aucune recherche d’érudition. Cependant la vie de Hobbes a de l’importance, même au point de vue philosophique, parce qu’il est du très petit nombre de philosophes qui, dans la vie civile, ont été de leur système. Si l’on veut comprendre sa conduite, il faut connaître ses théories, du moins ses théories politiques ; et les voici en très peu de mots. Les hommes ont vécu d’abord à la façon des bêtes fauves ; c’est là leur état de nature ; mais à la différence de Jean-Jacques Rousseau, qui plaignait sincèrement l’humanité d’avoir abandonné ses allures primitives, Hobbes a une telle horreur de cette anarchie universelle, que son unique but est de la proscrire à jamais, et avec elle tout ce qui, dans nos mœurs, favorise la liberté et l’indépendance, ces causes de l’anarchie qu’il ne peut pas séparer de l’anarchie elle-même. Sur ce principe, le meilleur gouvernement sera le gouvernement le plus absolu, celui qui tendra le plus ouvertement à détruire toute liberté individuelle, et qui soumettra, sans réserve, toutes les volontés à celle du souverain. Pour remplir sa mission, ce gouvernement devra être très fort ; et tout ce qui contribuera à le rendre fort, sera légitime ; il sera lui-même légitime en proportion de sa force ; il ne faut pas dire : Mon droit fait ma force ; mais bien : Ma force est mon droit. C’est une doctrine qu’on ne saurait du moins taxer d’hypocrisie ; et que l’on songe que Thomas Hobbes était né vingt-sept ans après Bacon, en 1588, et qu’il composait et écrivait ce système dans le même temps que ses compatriotes faisaient à leur roi son procès, et donnaient à l’Europe le premier signal des grandes révolutions en faveur de la liberté. Attaché comme précepteur à la famille de Guillaume Cavendisch, du parti des royalistes, il émigra avec eux et vint en France, où il enseigna la philosophie au prince de Galles, exilé. Il resta sincèrement attaché au parti vaincu, tant que l’anarchie régna parmi les vainqueurs ; mais quand Cromwell eut réalisé, autant que possible, cet idéal du gouvernement fort et un, que demandait Hobbes, la légitimité passa de son côté avec le succès, et le précepteur du prince de Galles retourna en Angleterre sous les lois de son souverain légitime, Olivier Cromwell. Il redevint royaliste après la restauration ; c’était la faute de Richard, qui avait gouverné avec faiblesse. On disait que Hobbes avait changé trois fois de parti, parce qu’il n’avait jamais changé d’opinion. On peut en dire autant de tous