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LA HOLLANDE.

Le but des chambres de rhétorique hollandaises et flamandes était, comme nous l’avons déjà dit, de travailler au progrès de la langue et de la poésie ; mais leur tendance était, à vrai dire, plus morale encore que littéraire. Elles mettaient au concours des questions de dogme et de charité publique qui ne pourraient occuper aujourd’hui que la faculté de théologie de la Sorbonne, ou la commission du prix Monthyon. Elles faisaient représenter, à la manière de nos anciennes confréries, des drames bibliques et des mystères. Pour récompense, elles distribuaient aux lauréats des coupes d’argent ou d’étain, selon l’état de leur budget. Parfois, pourtant, elles abordaient des questions profanes, elles entraient, au grand scandale de quelques-uns de leurs membres, dans le domaine de la mythologie grecque, et mettaient sur la scène les dieux et les héros à la place des saints et des patriarches. En 1519, une des chambres de Gand représenta un drame qui avait pour titre : L’Enlèvement de Proserpine par Pluton. La pièce est précédée d’un long prologue composé d’une foule de maximes fort peu adaptées à un tel sujet, mais fort édifiantes. Puis apparaît un gardien qui s’appelle Monsieur-sait-Tout, et qui chante un hymne à la beauté du printemps et de l’aurore. Un autre personnage symbolique se présente, qui loue, comme un mauvais sujet qu’il est, la volupté des ténèbres ; le sage Sait-Tout le réprimande de cette grossière licence de pensée, et l’invite à voir la pièce que l’on va jouer pour son instruction. Ici se termine le premier acte. Les acteurs se retirent. Le public réfléchit, et bientôt voici venir Jupiter, tenant la foudre à la main, Neptune appuyé sur un trident ; chacun d’eux dépeignant en longs vers les charmes de son empire. Tout à coup leur dialogue dithyrambique est interrompu par Pluton, qui entre en fureur, le visage noir, les mains noires, gesticulant et criant que ses deux frères ont pris la meilleure part de l’héritage paternel, et qu’il bouleversera le ciel et les ondes, si on ne lui fait justice. — Mais que veux-tu donc ? dit Neptune inquiet déjà sans doute d’avoir à prononcer le quos ego. — Je veux une femme, s’écrie Pluton en se redressant de l’air d’un lion dont le vent du désert enfle les naseaux. — Allons, allons, mon cher frère, dit le galant Jupiter d’un air assez fat, tu es par trop noir pour rêver une telle conquête. L’impertinente remarque de l’amant de Léda jette Pluton dans un nouveau transport de fureur, et les deux frères, craignant sa vengeance, promettent enfin de le seconder dans ses vœux et de l’aider à enlever Proserpine. Ils appellent à leur secours Phébus, Pan, l’Aurore, Zéphyre, Cybèle et Vénus. L’amoureux Pluton les suit près de la tour de fer