Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
84
REVUE DES DEUX MONDES.

d’un torrent, n’osant ni revenir sur mes pas, ni m’exposer à un nouveau danger en traversant un courant rapide qui nous avait déjà presque submergés. À l’aide de guides intelligens, nous pûmes enfin parvenir sans encombre sur l’autre rive, où je trouvai des employés russes qui attendaient depuis plusieurs jours que les eaux, en baissant, leur permissent de tenter le passage.

Je suivis, pour me rendre à Gandja, une immense plaine, sans culture comme sans végétation. Quelques torrens, dont les rives sont abritées par des chênes, des mimosas, des grenadiers chargés de fruits, ou des vignes sauvages, interrompaient seuls la monotonie de cette route déserte. Je passai le Kour, grossi par l’Alazan et la Yora, et j’entrai à Elisabethpol après avoir suivi des jardins entourés de murs, ombragés d’immenses tilleuls et de noyers d’une grosseur extraordinaire. Je traversai la grande avenue de la ville, dont les sycomores surpassent beaucoup les platanes tant vantés du Tcharbag d’Ispahan : j’ajouterai même que les sycomores qui forment l’allée de Gandja ont une vigoureuse et riche végétation, tandis que les platanes d’Ispahan ne se soutiennent que par leur seule écorce. Un ruisseau d’une eau limpide court entre les deux rangées d’arbres. Sur les bords, des marchands déposent des charges entières de melons, de pastèques, de poires, de pêches, enfin de toutes les variétés de fruits que produit ce climat si beau, mais malheureusement si malsain. Des cafés dont tout le luxe consiste en quelques tapis étendus au bord de l’eau, avec un brasier toujours prêt pour ceux qui veulent savourer la fumée narcotique du kalivoun, des boutiques de rôtisseurs, de boulangers ; le mélange des costumes, le mouvement des piétons et des cavaliers parcourant au galop le sol si uni de cette belle avenue, tout donnait au coup d’œil que m’offrait l’allée de Gandja un charme que je ne puis oublier : je me trouvais reporté aux beaux jours de l’Orient. Mes souvenirs durent faire place à la triste réalité, quand je vins m’arrêter à un karavansérail tout en ruines, situé à une des extrémités de cette allée, parée d’une si riche végétation, et où se presse une foule dont la douce indolence convient si bien au climat énervant de Gandja.

La population de la ville est moitié musulmane, moitié arménienne ; elle s’élève à dix mille ames. À peu de distance se trouve une mine d’alun affermée 40,000 francs à des Arméniens. L’histoire de Gandja est celle de presque toutes les villes de la Géorgie. Soumise à des khans particuliers, elle fut long-temps sous la dépendance de la Perse : ayant été prise par les Russes le jour de la Sainte-Élisa-