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venswaert conseiller d’état, M. Bogaers avocat, M. Beets pasteur dans un village, et M. Tollens est épicier à Rotterdam. Dans un tel état de choses et dans un pays où tout prend naturellement une attitude grave et contenue, la littérature ne peut pas avoir les capricieux élans, la fougue ardente et désordonnée qu’elle a souvent en Angleterre, en France et en Allemagne. Ces hommes qui vivent d’une vie si régulière, le jour assis à un bureau, le soir retirés dans leur famille, ne voudraient pas publier des œuvres qui seraient réprouvées par leurs sages parens, par leurs sages amis, et qui les compromettraient inutilement aux yeux de ceux dont ils attendent un appui. Ils s’appliquent donc à suivre les anciennes règles, et ils n’écrivent pas un livre dont la mère puisse défendre la lecture à sa fille. Il y a en Hollande quatre mille poètes inscrits dans les fastes littéraires, et des milliers de poèmes imprimés sur grand papier vélin, ornés de vignettes, cités avec éloge, avec enthousiasme même, par les critiques du pays, et l’on n’en noterait peut-être pas vingt dont la tendance ne soit essentiellement sérieuse, morale et pratique. Si cette austère physionomie d’une littérature est fort respectable, elle finit, il faut le dire, par devenir passablement monotone ; et, pour mon comte, j’avoue qu’en parcourant les œuvres en prose ou en vers que les Hollandais recommandaient le plus à mon admiration, j’ai souvent regretté de ne pas y trouver un de ces très graves, mais charmans péchés de raison, comme on en voit dans Schiller, dans Byron et dans quelques-uns de nos poètes modernes. Quoi qu’il en soit de ces lacunes, la littérature hollandaise, par cela même qu’elle n’a pas suivi le mouvement impétueux des autres, est importante à signaler, comme l’expression fidèle et constante de l’un des peuples les plus estimables qui existent.


X. Marmier