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REVUE LITTÉRAIRE.

L’histoire commence après cette vignette qui n’est que la traduction des premières pages du récit. — L’on est au printemps ; la nature, qui craint d’être en retard et de ne pouvoir fournir au mois de mai sa belle robe de fleurs, a passé la nuit comme une ouvrière à qui une grande dame a commandé de beaux ajustemens pour une fête dont l’époque est rapprochée ; elle lace autour de la taille des jeunes roses leur petit corset de velours vert, elle pique les pointes d’argent dans le cœur d’or des marguerites, fourbit les étoiles rouillées par l’hiver, satine le gazon de la prairie, délivre les cascades de leurs prisons de cristal et se donne une peine extrême pour arriver à temps. Rosemonde, tout en filant son rouet, se sent émue par cet épanouissement de la nature ; elle pense à son bien-aimé Valentin que l’amour de la peinture a entraîné à Rome. L’aïeule s’endort dans son fauteuil, et la folle brise qui entre par la fenêtre entrebâillée joue avec les feuillets d’un riche missel, historié de miniatures admirables, posé sur la table ; ce missel est un cadeau de Valentin. Par un hasard inquiétant, le vent ouvre toujours la page à l’endroit de l’office des morts. — Rosemonde, le cœur envahi par une mélancolie pleine de pressentimens, se met à chanter une longue et douce complainte, une « chanson de saule et d’amour malheureux, » où elle raconte l’histoire de ses amours avec Valentin et son départ pour l’Italie où il demeure depuis trois ans ; dans son exaltation, elle demande des nouvelles de Valentin au rossignol, à l’étoile, à la rose : le rossignol se tait, l’étoile s’efface, la rose se fane. Rosemonde troublée laisse choir sa quenouille qui se brise, et se lève pour fermer la fenêtre, car l’haleine de la nuit envoie d’étranges soupirs dans la petite chambrette, la lampe prend de singulières nuances : en se penchant à la fenêtre, Rosemonde croit entendre un bruit de pas dans le feuillage : Est-ce toi, Valentin ? s’écrie-t-elle haletante d’espoir et d’amour.

Non, répondit alors une voix solennelle,
Mais quelqu’un qu’il envoie auprès de toi, ma belle.

Qui êtes-vous ? continue Rosemonde inquiète.

Je suis celle qui va frapper à chaque porte,
À qui l’effroi tient lieu d’amour et de respect,
Et qui du même pied descend un bourg infect
Et monte l’escalier de l’alcôve dorée ;
Celle à qui nul valet ne refuse l’entrée,
Lorsque dans le château des papes et des rois
Elle vient, en traînant à ses pieds nus et froids
Quelque paille enlevée au fumier de Lazare ;
Celle qui n’a d’amour ni de haine, et sépare
La chose que sa sœur a liée autrefois ;
Que le soldat défie au son de la fanfare,
Les pâles débauchés aux lampes des repas ;