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la future administration, quelle qu’elle soit, une cause d’embarras. Elle se trouvera en présence d’une opposition nombreuse, irritée, formidable, d’une opposition qui l’attaquera sans hésiter avec les motions les plus propres à soulever les intérêts, à exalter les esprits, à agiter les masses. Les Anglais ont une confiance illimitée dans la solidité de leur édifice politique : ils y croient comme la noblesse française croyait, en 1789, à la monarchie de Louis XIV ; je ne dis pas avec aussi peu de raison, mais avec la même conviction. Aussi les voit-on tenter sans crainte les épreuves les plus périlleuses, convaincus que le combat se terminera toujours par une transaction, que c’est là l’ultima ratio du système représentatif, du moins tel que l’ont fait leurs mœurs et leur caractère national. L’avenir nous apprendra si aujourd’hui cette confiance illimitée n’est pas une faute, même en Angleterre. En attendant, ce qui est certain, c’est que la lutte sera vive, opiniâtre : peut-on en conclure que le gouvernement anglais, affaibli, embarrassé à l’intérieur, sera forcé de négliger les questions extérieures ? qu’il évitera au dehors tout ce qui pourrait exiger des forces imposantes et un engagement sérieux ?

Ce serait là, nous le croyons du moins, une illusion. Ce qu’on appelle vulgairement un coup de tête serait plus à craindre d’un cabinet harcelé à l’intérieur que d’une administration forte et franchement acceptée du pays. Les Anglais, malgré leur froideur et leur calme apparens, ont beaucoup de hardiesse politique. Ils savent oser. Ils ont même été plus d’une fois aventureux et téméraires. On les a souvent comparés aux Carthaginois, à cause de leur esprit commercial, et afin de pouvoir lancer contre eux l’épigramme de la foi punique. À vrai dire, l’aristocratie anglaise, et c’est elle encore qui gouverne l’Angleterre, rappelle plutôt le patriciat et le sénat de Rome. Comme lui, elle est habile, persévérante, capable de grandes choses, mais aussi capable de tout en politique. Rome aurait conquis deux Asies pour faire diversion aux exigences des plébéiens ; l’Angleterre tenterait demain la conquête de la Chine, si elle espérait pouvoir ainsi apaiser ses boutiquiers et ses prolétaires : Rome n’a jamais rien ménagé que ses intérêts. L’Angleterre pratique la même doctrine avec le même cynisme politique, et, il est juste de le reconnaître, elle ne trompe personne, car elle ne daigne pas mentir. L’Anglais porte dans la politique cette même horreur du mensonge qui l’honore dans la vie privée. Il sait se taire ; il ne ment pas. Aussi, lorsqu’il est contraint de parler, parle-t-il souvent avec une franchise, pour ne pas dire une brutalité qui étonne. Il se prend à justifier les choses les plus étranges. Il les justifie comme il les fait, sans ménagement aucun. Copenhague, Quiberon, Parga, le droit de visite, le blocus sur le papier, que sais-je ? tout lui est égal, lorsque l’intérêt de son pays lui paraît l’exiger.

C’est ainsi que si un cabinet anglais, si un parti arrivé au pouvoir (en Angleterre, ce ne sont pas des hommes, des individus, qui prennent les affaires, c’est toujours un parti), parvenait à se convaincre, que, pour apaiser les agitations intérieures de son pays et trouver de nouveaux débouchés à sa