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REVUE. — CHRONIQUE.

prodigieuse industrie, il fallût une puissante diversion à l’extérieur, il n’hésiterait pas un instant à engager la lutte, à tort ou à raison, dans l’Occident ou dans l’Orient, peu importe. Les Anglais sont des hommes complètement différens, selon qu’ils se placent au point de vue de la vie privée ou bien au point de vue politique. La politique n’est pour eux qu’une combinaison de l’esprit ; c’est de l’algèbre. Lisez l’histoire de leurs conquêtes dans l’Inde. Machiavel n’est plus qu’un enfant.

On se tromperait également si on croyait que l’état de ses finances serait pour l’Angleterre un obstacle insurmontable à toute entreprise hardie et coûteuse. Aurions-nous donc déjà oublié les énormes sacrifices qu’elle n’a pas craint de faire dans sa lutte avec l’empereur ? Les hommes accoutumés aux grandes affaires et aux gros bénéfices ne redoutent pas les dépenses. En cela aussi ils sont très hardis. Pour une expédition nationale, et toute conquête est nationale en Angleterre, il n’est pas de cabinet qui ne trouve argent et crédit, des prêteurs complaisans et des contribuables résignés. C’est le pays où l’esprit politique détermine un particulier à mettre des sommes énormes au service d’un comité électoral. Ce sont là des moyens de corruption, des mœurs politiques qui nous révoltent. Est-il moins vrai que ces faits prouvent en même temps une ardeur, une énergie, une puissance de volonté contre laquelle il est certes permis de se mettre en garde, au point de vue de la politique extérieure ?

Résumons-nous ; s’il est encore possible que la question d’Orient s’ajourne pour quelques années, que Méhémet-Ali accepte l’hatti-shériff amendé, que les Candiotes soient écrasés ou qu’ils transigent, que les troubles de l’Arabie, de la Syrie, de la Thessalie, de la Macédoine, s’apaisent ou ne s’élèvent pas du moins jusqu’à un fait de révolution, et que la Russie elle-même se résigne à une prolongation du statu quo, il n’est pas moins vrai que plus d’un épais nuage paraît s’amonceler dans ce moment à l’horizon du côté de l’Orient. Le traité du 15 juillet, loin de tout calmer, a porté partout le trouble et l’agitation. Les populations chrétiennes n’ont pas vu dans l’expédition de Beyrouth la victoire du souverain sur le vassal, mais le triomphe de la croix sur le croissant. Le bon sens des masses leur a fait comprendre ce que nous avons souvent dit : — En frappant Méhémet-Ali, c’est l’empire que vous affaiblissez. — Si les évènemens ne sont pas arrêtés dans leur cours, bientôt il ne s’agira plus en Orient de mettre le sultan d’accord avec un de ses pachas, il s’agira de l’empire lui-même, de l’équilibre européen, de la paix du monde, et cela en présence de deux immenses ambitions, l’ambition russe, l’ambition britannique, prêtes également, selon les circonstances et selon leurs intérêts, à s’allier et à combattre, à s’allier aujourd’hui, à s’attaquer demain, et réciproquement.

Au milieu de ces circonstances et de ces possibilités, nous ne voulons pas encore dire de ces probabilités, quelle est notre situation ? Nous ne voulons rien exagérer ; nous ne voulons d’injustice pour personne. Si l’optimisme sys-