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LETTRES SUR L’ÉGYPTE.

au nez long et pointu. Son confrère, l’agent anglais, au contraire, reçoit les voyageurs de l’Inde, fait de gros bénéfices, s’engraisse en un mot, comme l’attestent d’ailleurs son air d’importance et son embonpoint sphérique.

J’avais eu soin de congédier mon chamelier, à sa grande surprise, et d’en prendre un autre avec de nouveaux compagnons garantis par l’agent consulaire ; cette fois, je fus bien servi, et nous revînmes à Qenéh en trois jours, non compris la station convenue d’une journée aux rochers sculptés d’Hammamât, où je complétai ma récolte hiéroglyphique.

En quittant Edfou pour Qosseyr, j’avais renoncé avec regret au voyage projeté des mines d’émeraudes. L’absence d’autorités locales et de garanties pour ma sûreté m’y obligeait, mais je souhaitais, par une sorte de scrupule de conscience, d’y revenir faire une nouvelle tentative, en m’appuyant de la recommandation du gouverneur d’Esné, que je devais rencontrer sur mon chemin. Mon regret et mon désir allaient toujours croissant, à mesure que je m’éloignais ; c’était à en perdre le sommeil. Il s’agissait, en effet, de parcourir une route peu connue, et sur laquelle, suivant les cartes, je devais trouver des monumens égyptiens, et surtout de nombreuses inscriptions gravées sur les rochers et occupant une vaste étendue ; c’était une riche moisson à faire. Le gouverneur d’Esné, que je vis en descendant, avait promis de me procurer, si je revenais, tous les moyens de faire le voyage avec sûreté ; cette assurance me confirma dans mon projet, que j’ai exécuté, sans me douter des déceptions qui m’attendaient.

25 Mars 1841.

Enfin j’arrive de ces fameuses mines d’émeraudes après dix-sept jours passés dans le désert et cent cinquante lieues de marche. Le voyage de Qosseyr, auprès de celui-là, n’est qu’une partie de plaisir, et peu de gens se doutent de ce qu’il coûte d’ennuis, de privations et de fatigues. Toutes les intempéries des climats extrêmes m’ont assailli. De grandes chaleurs le jour et de grands froids la nuit ; le vent, la poussière, la brume et la pluie ; de l’eau putride, du biscuit moisi, une marche très pénible, soit à dos de chameau, soit à pied, tel a été mon régime habituel. J’étais une partie du temps obligé de descendre pour exciter les bêtes et les gens également paresseux ; les Ababdehs, m’ayant fait payer les chameaux à la journée, mettaient dans la marche le plus de lenteur possible, et je ne saurais dire tout le mauvais sang que j’ai fait, tout ce que j’ai dépensé de colère dans ce