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formes de gouvernement qu’elles engendrent ne sont pas tout dans ce monde. En Portugal, ce sont des intérêts presque secondaires. De la solution des questions constitutionnelles ne dépendent pas seulement la force et le repos de ce pays faible et tourmenté. C’est chose évidente pour qui a quelque temps habité cette terre. Tant qu’au lieu d’essayer des combinaisons artificielles, on n’aura pas ranimé les forces vives de la nation, celle-ci sera toujours ballottée entre un despotisme flétrissant et une anarchie désolante. Les évènemens qui disposeront de son sort lui seront comme étrangers ; entraînée par un mouvement tout moderne, il semble qu’elle ne sache vivre que dans le passé. Les Portugais sont uniquement les héritiers de leurs ancêtres. Dans leur caractère, rien de sérieux ne se découvre qui soit d’importation étrangère ou date de notre siècle ; tout appartient encore aux temps chevaleresques. Si l’empreinte primitive est ternie, aucune nouvelle trace ne se distingue, et le Portugais de nos jours, mutilé si l’on veut, n’est pas transformé. La situation générale de la société ne peut s’expliquer que par ses anciennes mœurs et la nature des atteintes successives qu’elles ont subies. Il faut donc, pour connaître le Portugal, savoir son histoire et surtout les traditions qui enchaînent les imaginations. Là se retrouvent les sentimens, s’il en existe encore, ou du moins les regrets du peuple ; mais le peuple est la mer que les vents soulèvent ! Quels sont les vents ? d’où vient la tourmente ? Les partis, les gouvernemens, ont causé les agitations du Portugal ; leur action a pesé sur la nation, qui, sans se laisser pénétrer par les idées libérales, leur ouvre un passage facile et s’affaiblit sans s’éclairer. Il n’y a point d’harmonie entre le pouvoir et le peuple. Leurs tendances diffèrent, et leur union est forcée ; de là un Portugal nouveau, plein de disparates et de contrastes, où la société est vieille et le gouvernement moderne. Comment rendre à ce pays l’ensemble et la vie qui lui manquent ? Les théories politiques qui n’ont pu guérir ses maux ne suffiraient pas même à les définir. Mais chercher comment s’est formé le caractère national, c’est apprendre encore aujourd’hui, à juger la société contemporaine ; pénétrer dans les mouvemens qui l’ont agitée depuis vingt années, c’est connaître les gouvernemens et les partis. Je demanderai donc au passé quelles causes ont produit et développé les mœurs et les idées du Portugal, avant d’examiner quelle conduite doit être désormais suivie pour lui donner un gouvernement à la fois libre et national.

Un fait dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui domine toute l’histoire portugaise. Les nobles aventuriers qui se rangèrent sous l’étendard du comte Henri et des rois ses descendans, ne vinrent pas asservir un peuple riche et puissant pour fonder leur existence féodale sur la perte de ses richesses et de ses libertés. Loin de là. Quand la race chrétienne, fort clairsemée dans le pays, eut vu reculer les infidèles, les guerriers étrangers furent considérés comme des libérateurs ; ils trouvèrent les terres abandonnées, le sol à peu près inculte ; et, comme il fallait sans cesse refouler la nation vaincue, la population chrétienne, même la plus infime, profita de tous les succès et s’y