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EUSTACHE LESUEUR.

que-là si chaste, si réservé, des maîtres de cette belle époque. Quand on voit dans la plupart des tableaux des Filippo Lippi, des Botticelli, des Guirlandaïo, un oubli si complet du naturel, une tendance si marquée à l’affectation et à l’exagération maniérée, on a peine à comprendre comment de telles peintures peuvent se trouver placées entre la primitive pureté de Masaccio et l’exquise perfection de Raphaël. L’explication est tout entière dans ces premières invasions de la science anatomique ; c’est à elle que ce trouble passager doit être attribué. Mais, heureusement, il y avait alors assez de sève et de jeunesse dans les ames, assez de discipline dans les esprits, pour que ce contact de la science ne fût pas mortel à l’art. Le génie du beau, c’est-à-dire de la simplicité, veillait sur les destinées de la peinture italienne, et le génie du laid, c’est-à-dire de la manière, ne devait pas encore triompher. Léonard vint prouver qu’on pouvait être savant et conserver le caractère le plus ferme et le plus pur ; puis, enfin, Raphaël, par l’éclat et l’autorité de ses chefs-d’œuvre, acheva d’anéantir jusqu’aux derniers vestiges de l’esprit de pédantisme et d’affectation.

Mais, après les succès et les foudroyantes innovations de Michel-Ange, il n’y avait plus de digues assez hautes ni assez fortes pour contenir le flot du mauvais goût. L’âge d’or n’avait duré que quelques jours. Belles et lumineuses journées, dont l’éclat ne s’est éclipsé que pour les yeux contemporains, mais qui brilleront à jamais d’une incomparable beauté !

Nous détournerons nos regards du triste spectacle qui leur succède. Qu’il nous suffise de dire que de jour en jour on vit s’étendre et s’affermir les conquêtes de la manière, c’est-à-dire de cette méthode expéditive et systématique qui applique les mêmes procédés, les mêmes formules, à tous les sujets, à toutes les situations. Mettre en relief les muscles les moins apparens, chercher les poses les plus tourmentées, les attitudes les plus violentes, les gestes les plus invraisemblables ; faire des Vénus qu’on prendrait pour des Hercules, des vierges qui ressemblent à des saints Christophes ; faire marcher hommes et femmes sur des espèces de colonnes torses en guise de cuisses et de jambes, telle fut la recette, on pourrait presque dire la consigne, adoptée avec enthousiasme dans ce pays qui vingt ans auparavant voyait produire la Madonna alla Seggiola et les Stanze du Vatican.

Il y eut pourtant quelques résistances isolées et partielles. Parmi tous ces noms obscurs dont nous pourrions faire une insignifiante