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LE PORTUGAL.

plus sûr de donner une idée non-seulement incomplète, mais absolument inexacte de ce pays. Quant à moi, je n’ai pas la prétention d’écrire l’histoire, et j’essaie de raconter fidèlement quelques faits.

Des conciliabules fréquens se tenaient chez la reine, à Queluz. La camarilla se composait à peu près exclusivement d’hommes de la plus basse classe et des plus avilis. Parmi les intimes confidens de la reine, on comptait jusqu’à des mendians ; mais les plus influens étaient ces valets privilégiés qui déshonorent les cours du midi : dominateurs dans l’intérieur du palais, inconnus ou méprisés au dehors, ils se trouvent perpétuellement en contact avec des hommes d’une condition supérieure, mais moins puissans qu’eux en réalité. Leur vanité est sans cesse blessée, et leur crédit auprès du prince leur donne les moyens de se venger ; c’est là le travail acharné de leur ambition. Un manque absolu d’éducation les rend impropres à remplir tout emploi public ; ils ne peuvent s’élever qu’en flattant les vices privés et les passions puériles des princes. C’est chose curieuse d’observer avec quel art ils alimentent leur incroyable orgueil, et de quelle admiration ils les pénètrent non-seulement pour leur rang et leurs pauvres qualités politiques, mais surtout pour leurs personnes, pour leurs plus misérables actions, pour leur manière de boire et de manger. L’habitude de vivre avec de tels complaisans inspire à leurs maîtres un mépris excessif pour les hommes, qu’ils jugent d’après ces ignobles modèles. Aussi le despotisme péninsulaire porte-t-il un caractère particulier de bassesse, de sottise et de vulgarité, qui le rend plus impossible à supporter que tout autre.

L’infant se rendait presque tous les soirs à Queluz, accompagné de ses créatures, et dispensait ses aides-de-camp de le suivre. Quelquefois, déguisé en pasteur, il se rendait dans un lieu appelé Cabeça de Bola, où des voleurs et des contrebandiers avaient construit quelques huttes au milieu des ruines de palais renversés par le tremblement de terre. Là il se plaisait à se mêler à une société de malfaiteurs, et plusieurs des assassins du marquis de Loule venaient le trouver. Enfin au moment où l’instruction dirigée contre les meurtriers touchait à son terme, le complot du 30 avril éclata.

Le chevalier Thornton, ambassadeur d’Angleterre, donnait ce jour-là un bal pour l’anniversaire de la naissance du roi George IV. Le corps diplomatique, les ministres et presque toute la société de Lisbonne s’y trouvaient rassemblés ; amis et ennemis, les conjurés et leurs victimes, tous étaient réunis. Au milieu de la soirée, le comte de Subserra reçut l’avis qu’à Cabeça de Bola on avait discuté les moyens de l’assassiner, et que sa voiture serait attaquée quand il sortirait du bal. M. Hyde de Neuville, ambassadeur de France, sauva M. de Subserra en le ramenant dans son carrosse. Le duc de Palmella était à peine rentré dans sa maison de Boahora, quand on vint lui dire qu’un officier le demandait de la part de l’infant, et que ce prince l’attendait dans les quartiers du 4e de cavalerie. M. de Palmella sortit aussitôt en costume de bal, et ne tarda pas à s’apercevoir qu’il était tombé dans un guet-apens, et qu’on le conduisait à la tour de Belem. M. de Renduffe, intendant-général de la police,