Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/184

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
180
REVUE DES DEUX MONDES.

était monté à cheval avec le baron de Portella, chef des gardes de la ville. Après être passé chez le vicomte Santa-Martha, commandant de la place, il se rendit au palais de Bemposta. Des pasteurs à cheval et armés de lances lui barrèrent le passage ; enfin, en se rendant à la place du Roscio, où était établie l’intendance de la police, dans l’ancien palais de l’inquisition que déjà l’infant occupait en personne, le baron de Renduffe fut reconnu, poursuivi et arrêté.

Dès minuit, l’infant généralissime avait visité toutes les casernes, allant ventre à terre de l’une à l’autre. Il ordonnait aux soldats de prendre les armes, criait que les francs-maçons avaient voulu assassiner le roi et tous les membres de la famille royale, que des mesures énergiques pouvaient seules les sauver, et qu’il les prenait sur lui.

Don Miguel réunit ensuit sur la place du Roscio les régimens qui s’étaient révoltés avec le marquis de Chaves, et ceux sur le dévouement desquels il faisait le plus de fonds. Des gens cernaient Bemposta et gardaient le roi en interdit. Les officiers dont il craignait le plus la loyauté furent arrêtés en un instant. Après avoir donné à plusieurs colonels des ordres pour faire monter leurs régimens à cheval et les avoir félicités sur leur fidélité au roi, il les fit conduire à la tour de Belem. Le comte de Villaflor et le comte de Paraty, le vicomte de Santa-Martha et le baron de Portella étaient déjà au château Saint-George. Avant midi, la moitié des officiers de l’armée se trouvait en prison. Les forteresses étaient pleines, et, comme on manquait d’hommes pour opérer tant d’arrestations, on chargeait de les effectuer des officiers qui, en arrivant à Belem, étaient incarcérés avec ceux mêmes qu’ils amenaient. Chacun en son particulier se croyait victime d’une méprise, et n’opposait aucune résistance, pour ne pas paraître complice de la grande conjuration maçonnique.

Lisbonne était dans la stupeur ; mille bruits ridicules se transmettaient de bouche en bouche. Beaucoup d’hommes modérés, par leur fatale faiblesse, avaient eux-mêmes accrédité les calomnies de leurs ennemis. À la suite des absolutistes, ils s’étaient empressés de proclamer les crimes chimériques de francs-maçons, et pour échapper à une lutte contre les véritables conspirateurs, dont ils redoutaient la puissance, ils avaient attaqué d’anciens ennemis désarmés. En se courbant devant le danger, en s’efforçant de le dissimuler, ils contribuèrent à élever le perfide échafaudage du complot dont ils devaient être les premières victimes. Il n’y eut qu’à changer quelques noms pour les atteindre. Les partis les plus opposés semblaient s’être entendus pour préparer à tout admettre un peuple crédule frivole et passionné.

Il serait injuste de confondre tous les apostoliques avec les partisans de la reine. Plusieurs absolutistes tinrent, dans ces journées, une conduite parfaitement loyale ; mais la plupart, sans participer à la direction du complot, obéissaient avec ardeur aux ordres du généralissime : ils étaient ravis de profiter de l’occasion pour accabler leurs ennemis, et prêtaient, sans se compromettre, l’appui le plus efficace à la conspiration de la reine et de l’infant.

Au milieu de la nuit, le palais de Bemposta avait été entouré de troupes qui