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LE PORTUGAL.

retard et sans excuses à bord du Windsor-Castle. Don Miguel hésita un moment avant d’obéir, ayant peine à saisir l’importance de la démarche à laquelle il allait être entraîné ; mais le voisinage de chaloupes anglaises donnait à l’intimation du roi une autorité irrésistible à laquelle le prince dut se soumettre.

Les prisons furent à l’instant ouvertes à Lisbonne, et le jeune marquis de Loule porta à Peniche l’ordre de délivrer les captifs ; le Portugal tout entier fut en fête. Le peuple manifesta la joie la plus vive pour la délivrance de ces mêmes hommes à l’exécution desquels il aurait pu applaudir. On jetait des fleurs sur le passage de ceux qu’on appelait alors d’innocentes victimes, tout le long de cette route où quatre jours auparavant ils avaient été accablés d’outrages. Don Miguel partit le 13, à bord d’une frégate portugaise surveillée par deux bâtimens de guerre, français et anglais. La reine fut confinée à Queluz, et le 14 Jean VI débarqua à l’arsenal de la marine, et se rendit au palais de Bemposta au milieu des cris de vive le roi seul. Il fut reçu avec un ardent enthousiasme et une bruyante effusion. Il était véritablement adoré des Portugais ; jamais il n’y eut tant d’amour pour de si pauvres vertus.

Si je me suis si longuement étendu sur ces derniers évènemens, c’est que tous les Portugais, apostoliques et libéraux, font dater de cette époque les cruelles divisions qui ont depuis déchiré leur patrie ; et l’on verra dans la suite comment ces troubles influèrent plus puissamment sur le classement des partis que les principes politiques même.

Les factions demeurèrent accablées d’un sommeil douloureux, attendant pour se réveiller la mort de Jean VI, que le déclin de sa santé annonçait être prochaine. Le respect et l’amour que le peuple portait à ce faible monarque, qui, ainsi que lui, souffrait des maux qu’il ne savait empêcher, était une barrière que les princes de la famille royale avaient seuls osé franchir.

III.

La nation portugaise avait accueilli avec ardeur, en 1820 et 1823, deux révolutions faites en sens contraire. Après s’être précipitée sous le drapeau des théories libérales, elle était venue demander au trône absolu l’appui et la force qu’elle n’avait pas su trouver en elle-même. La cruelle ambition d’une reine et la turbulence féroce d’un jeune prince lui apprirent bientôt que l’abaissement n’assure pas toujours le repos. Accablée de cette double déception, fatiguée du choc des idées et de l’avidité des intérêts, la nation n’essaya plus désormais d’échapper à son sort, elle s’affaissa graduellement sous le poids de ses infortunes et de ses doutes. Les effets de la crise sociale et financière déterminée par la perte du Brésil se faisaient de plus en plus sentir. Il n’existait de débouchés ni pour les hommes ni pour les choses, et dans de pareilles circonstances, que n’auraient pu dominer un respect séculaire pour l’autorité