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LE PORTUGAL.

des flots de sang. Les emprunts forcés, les désordres, les assassinats de toute nature, ruinaient et désolaient les provinces. Les constitutionnels devaient donc s’attendre à trouver dans le peuple et dans l’armée de nombreux partisans ; mais le peuple n’avait plus de ressort, les confiscations l’avaient épuisé, les emprisonnemens en masse terrifié ; le despotisme avait pesé d’un si grand poids, que tous les hommes énergiques en avaient été atteints, et si les exécutions s’étaient ralenties, la mort n’en faisait que plus de ravages dans les humides cachots que le Tage baigne et inonde.

Quant à l’armée, les épurations de l’échafaud lui avaient fait perdre son ancien caractère ; ce qui restait des vieilles troupes s’était associé à l’esprit des volontaires royalistes, et don Pedro n’eut pas affaire à une nation, mais à une troupe fanatique dominant un pays accablé. Après la mort de la reine Charlotte, on aurait pu espérer que le despotisme de don Miguel se relâcherait un peu de sa fureur, ce prince étant plutôt indifférent au crime qu’avide de vengeance ; mais le danger grandissait du côté des constitutionnels, les plus compromis du parti apostolique étaient naturellement les plus fidèles. Le pouvoir leur appartint de droit au moment de la crise, et quels que fussent les sentimens intimes du peuple, le conflit sembla se circonscrire entre une armée pédriste de sept mille hommes fortement organisée et bravement commandée et une troupe nombreuse, mal instruite et encore plus mal dirigée.

Le 9 juillet, l’armée libératrice débarqua au nord de Porto, et entra le lendemain dans cette ville. Un grand nombre d’habitans s’avancèrent pour la recevoir, tandis que d’autres commençaient déjà à tirailler avec l’arrière-garde miguéliste ; mais l’enthousiasme diminua, et les pluies de fleurs cessèrent quand on eut constaté le petit nombre des constitutionnels. Après une bataille gagnée à Ponte-Fereira, au nord du Douro, et un échec éprouvé au sud, à Souto-Redondo, l’armée de la reine, sans cavalerie, sans caissons, sans équipages, fut forcée de rentrer dans la ville. Alors commença un siége qui dura plus d’une année, sans qu’aucun des partis remportât sur l’autre d’avantage décisif. La fortune vint souvent en aide aux constitutionnels. Après les deux premiers combats, réduits à quatre mille cinq cents hommes, ils auraient sans doute succombé, s’ils avaient été attaqués incontinent. Plus tard, séparés de la mer, ils se virent au moment de manquer de munitions, et n’avaient pas assez de chaussures pour supporter une marche d’un jour ; mais on leur laissa un mois pour se fortifier, et dans les circonstances les plus critiques ils ne furent jamais attaqués. Les menaces des miguélistes unirent la population au sort de l’armée, et le besoin d’une défense commune se fit sentir de tous. Les bourgeois s’enrôlèrent parmi les soldats, et comblèrent les vides de chaque jour. Cette grande ville, tant de fois malheureuse, affamée et bombardée, était réduite, à la fin du siége, au tiers de sa population ; elle supporta ses maux sans murmurer, c’était là un des fruits de la terreur miguéliste. Du reste, les Portugais se retrouvent tout entiers dans l’adversité, et les situations extrêmes remettent en lumière leur caractère aventureux.

Mais un tel état de choses, en se prolongeant, devenait fatal aux constitu-