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LE PORTUGAL.

Depuis plus d’une année, des symptômes alarmans s’étaient manifestés. La chambre des députés avait refusé le commandement en chef de l’armée au premier époux de la reine, le prince Auguste de Leuchtemberg. Quelles que puissent être les théories constitutionnelles, et quelles que fussent les intrigues anti-ministérielles qui expliquent cette mesure, elle était pour des Portugais de la nature la plus grave. Mais doña Maria était trop jeune pour que de tels coups l’atteignissent, et l’opposition fut plutôt dirigée contre la veuve de don Pedro, Mme la duchesse de Bragance, sœur du prince que contre la reine. Le peuple se plaisait même, par des bruits ridicules, à séparer doña Maria de son mari. Après deux mois de mariage, le prince Auguste succomba à une courte maladie. À la même époque, des émeutes menacèrent la vie des ministres, et ce qui rendit encore plus odieuses ces indignes machinations, c’est qu’on soupçonna quelques membres du cabinet de les avoir suscitées.

Aux dernières élections, le scandale avait été porté à ce point, qu’un grand nombre d’officiers appartenant aux sociétés secrètes avaient fait entrer de force et voter leurs soldats dans les colléges électoraux. Le maréchal Saldanha, ministre de la guerre, dut sévir contre les coupables. Jusqu’alors il avait paru être plutôt qu’il n’avait été le chef des exaltés. Cet acte de vigueur lui fit perdre toute influence sur ce parti, qui recrutait chaque jour nombre de mécontens. La chambre des députés devint plus impérieuse à chaque changement de cabinet, et le pouvoir tombait sans force, quand la reine ordonna la dissolution des cortès, au moment où toutes les juntes espagnoles étaient en pleine insurrection.

Les gouvernans jouissaient de la frivolité du peuple et de leur propre légèreté, quand, le 9 septembre, les députés de Porto, nouvellement élus, débarquèrent à Lisbonne. Ils appartenaient tous au parti exalté. Une troupe de musiciens s’avança à leur rencontre ; la ville fut illuminée, et des vivats bruyans remplirent les rues et les carrefours. À la fin de la soirée, les ministres s’alarmèrent de cette démonstration, et envoyèrent un bataillon pour maintenir l’ordre. Les soldats se joignirent au peuple, et tous crièrent : À bas les ministres ! vive la constitution de 1822 ! Cette troupe animée, et d’abord plus joyeuse qu’hostile, se porta vers le palais, et envoya à la reine surprise une députation qui lui enjoignait de chasser ses ministres et d’adhérer à la constitution. La jeune reine fut profondément émue. La douleur plus que la crainte l’agitait ; elle se rappelait que long-temps son nom avait été confondu dans le cœur des Portugais avec celui de la charte : tant de travaux avaient été entrepris, tant de misères supportées sous cette double et glorieuse invocation ! La reine refusa d’obéir, et rejeta avec noblesse les ordres des révoltés. Il est probable qu’elle aurait pu alors arrêter le mouvement par le renvoi de ses ministres. Ce fut un peu plus tard que, dans la crainte de compromettre ses serviteurs, et d’après leurs conseils pressans, elle se résigna à signer. Alors seulement elle versa des larmes. Le comte de Lumiares, MM. Bernard de Sâ et Passos furent nommés ministres, et la reine s’engagea à réunir les cortès d’après les formes de la constitution de 1822, pour qu’elles eussent à recom-